[CRITIQUE] Uncut Gems : diffractions

Après leur grand film Good Time, les Frères Safdie reviennent avec le non moins réussi Uncut Gems. Une nouvelle course contre la montre au cœur de New York dont on ressort à bout de souffle.

Au fond d’une mine éthiopienne, une roche diamantifère est détachée d’une paroi et roule sur le sol. La caméra plonge à l’intérieur de cet objet fascinant et lumineux, puis, après avoir rebondi dans la pierre, prolonge sa course dans des conduits qui ressemblent à des cavités humaines, avant de sortir par le colon d’Howard, personnage principal du film, en pleine coloscopie. Dès les premières séquences de ce nouveau long métrage, les réalisateurs donnent le ton avec une belle dérision. L’Homme, attiré par tout ce qui brille, est capable de réveiller en lui ses pulsions les plus basses. Adam Sandler incarne un antihéros, gérant d’une bijouterie de luxe trempé dans des magouilles, qui essaye de refourguer à des stars d’ostentatoires breloques aux nombreux carats.

New York, cité de la vitalité et de la dépense, est aussi un personnage du film. Les frères Safdie, fascinés par la ville, en filmaient les bas-fonds et les addictions dans Mad Love in New York (2014). Ils passent ici de l’autre côté du miroir, en dépeignant une frange de la population qui peut refuser une Rolex en rétorquant en posséder déjà une. Ce qui lie les personnages des deux longs métrages, c’est le rythme effréné dans lequel ils sont plongés. Un rythme qui prend le spectateur en otage dès les premières images, dans la boutique d’Howard, grâce à des plans rapides sur les différents personnages, au bruit qui les entoure et au sentiment d’étouffement qui s’en dégage. Ce rythme trouve son climax dans la séquence magistralement orchestrée de la vente aux enchères, lors de laquelle Howard se laisse avoir à son propre jeu. Au timing effréné de ce film véritablement physique s’ajoute un sens du détail qui confère au dénouement des airs hitchcockiens.

Hitchcock n’est pas le seul convoqué dans Uncut Gems, David Lynch n’est pas très loin non plus, malgré le réalisme de l’intrigue. Le diamant dont il est question tout au long du long métrage repose dans un écrin, traversé par la caméra de la même façon que la boîte bleue dans laquelle se trouvait la mystérieuse clé dans Mulholland Drive. Une boîte de Pandore à l’origine d’un désordre, qui va déchaîner les Passions et causer la perte des personnages. Le diamant brut est livré à Howard dans le ventre d’un poisson, un mode de livraison qui confère à la roche une dimension parabolique, presque magique.  La caméra sondera à plusieurs reprises cet objet stellaire, avec la virtuosité que l’on connaît du chef opérateur Darius Khondji (My Blueberry nights, The Lost city of Z, Too old to die young).

Le poisson dans lequel se trouve le diamant rappelle au spectateur qu’Howard évolue dans un monde de requins régi par l’odeur de l’argent et du succès. Une sélection naturelle s’opère ainsi entre les acteurs de cette sphère et Howard qui joue des coudes pour se faire une place. On est finalement pris d’empathie pour cette petite frappe, personnage vulnérable, ambivalent et un peu ridicule qui est loin d’être le plus méchant. Les personnages sont eux-mêmes diffractés dans un véritable jeu de dupes. Un jeu qui se prolonge dans leur vie personnelle, puisque sa femme Dinah lui lance à la figure qu’il est la personne qu’elle déteste le plus. Le couple qu’il forme avec sa maîtresse Julia, vendeuse dans sa boutique, est finalement attachant et leur sort ne rend pas le spectateur indifférent. Mais la violence est diffuse, sous-jacente, et finit bien sûr par exploser. On aperçoit le reflet d’Howard dans un miroir au plafond, il ressemble à l’un des portraits de Francis Bacon, écorché vif, figure tragique défigurée par son ambition. Diffusé uniquement sur Netflix, le film ne sera pas visible sur grand écran, il n’en reste pas moins une pépite à découvrir.

Lucie Dachary

Uncut Gems
Réalisé par Ben & Joshua Safdie
Avec Adam Sandler, Julia Fox
Drame, Comédie, Policier, États-Unis, 2h15
31 janvier 2020
Netflix

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