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À partir du 20 juin, la galerie d’art Air de Paris présentera les deux nouveaux films de Brice Dellsperger : Body Double 36 et Body Double 37.
Peu connu du grand public, Brice Dellsperger est un artiste vidéaste qui œuvre depuis 25 ans à métamorphoser les films cultes dans une série appelée les Body Double, en référence à De Palma. À l’image de ce dernier qui a repris les films d’Hitchcock pour se les réapproprier et les transformer, Brice Dellsperger reprend à son tour l’œuvre de De Palma et d’autres cinéastes tels que Stanley Kubrick, David Lynch ou Paul Verhoeven. Son cinéma revisite les grandes œuvres de metteurs en scène de manière ludique, critique et troublante. Ses films reprennent le découpage des scènes cultes qui sont retravaillées. L’artiste les reconstruit plan par plan tout en conservant la bande-sonore, la musique et les dialogues. Ses Body Double deviennent des doubles de scènes et de films.
Le Body Double transporte le film dans un espace plus quotidien, plus banal et plus connu. Il ajoute à la scène le charme fou d’un film reproduit avec obsession et le trouble de ces sons dissonants avec l’image. Ce que l’on voit ne correspond pas à la bande-son que l’on entend. Par réminiscence cinéphile, on reconnaît le film mais il a muté. Les images ont changé et ce n’est plus le même. Les Body Double fascinent d’autant plus que Brice Dellsperger dans la plupart, ou le performeur Jean-Luc Verna dans certains, jouent eux-mêmes le rôle de tous les personnages. On a l’impression que tous les acteurs des films originaux se sont transformés pour devenir un personnage unique tout en étant le double des autres.
Les films de Brice Dellsperger se détachent des originaux en proposant des variations plus épurées qui apportent un jeu de mimétisme entre le Body Double et l’œuvre originale. On revoit un film mais d’une manière différente. Beaucoup d’hommes sont rejoués par des femmes et des femmes sont rejouées par des hommes, libérant une part plus sensuelle et plus érotique. La durée des Body Double est variable, les plus courts établissent une scène de 2 minutes et le plus long reproduit l’intégralité de L’important c’est d’aimer (Andrzej ?u?awski, 1975) et s’étend sur 1h49. Certains sont présentés sous forme de boucle et n’ont aucune limite temporelle.
En février 2019, le Centre Pompidou avait organisé une soirée autour de son œuvre, avec une projection des films et une discussion avec l’artiste. La Clef (revival), cinéma associatif parisien et en résistance contre sa fermeture définitive, avait projeté en novembre dernier deux des derniers Body Double. Le 32 consacré à Carrie (Brian de Palma, 1976), dont la scène de douche inaugurale est revisitée par un travelling sans fin; et le 35 centré sur Xanadu (Robert Greenwald, 1980) avec une nouvelle chorégraphie pop. L’été dernier, la Villa Arson à Nice avait consacré une exposition des films de Brice Dellsperger montrant son dernier film Fucking Perfect : Body Double 36, qui reprenant la célèbre scène d’aérobic de Perfect, réalisée par James Bridges, entre John Travolta et Jamie Lee Curtis. En complément du Body Double 36, la galerie Air de Paris proposera le Body Double 37, un film inédit autour de Pulsions/Dressed to kill (Brian De Palma, 1980), que Brice Dellsperger a réalisé pendant son confinement.
Body Double 36 ou Fucking Perfect porte bien son nom puisqu’il s’agit de son film parfait, de l’œuvre la plus aboutie de Brice Dellsperger. Présenté sous forme d’installation, l’image se dédouble sur l’écran par un écran partagé (split-screen) qui se dédouble à nouveau en dehors de l’écran grâce à un système de miroir qui reflète cet écran. Tous les rôles sont tenus par un seul acteur, Jean-Biche, dont les doubles se reflètent à l’intérieur du film par les miroirs dans la scène puis par l’écran qui se reflète sur lui-même et sur les miroirs. Cette scène d’aérobic se transforme en une hallucinante scène chorégraphique où une infinité de doubles se déhanchent dans tous les sens. Le film est très visuel et chaque plan se répète, se reflète, par des motifs qui se réinventent les uns après les autres. Des motifs qui traversent tout le cinéma de Brice Dellsperger. La durée lui confère un caractère hypnotique, tant il y a de mouvements à l’écran et qu’il devient difficile de tout saisir. On est emporté par le rythme et cette musique. La musique a été revisitée par Didier Blasco d’après Wear Out The Grooves de Jermaine Stewart qui avait servi au film original. Didier Blasco est l’un des membres du groupe Les Dupont, dont les morceaux abondent de citations et références cinéphiles. Fucking Perfect : Body Double 36 est un film captivant à ne pas manquer, un plaisir intense et infini pour les yeux et les oreilles.
A gauche : Perfect, James Bridges, 1985. A droite : Fucking Perfect, Brice Dellsperger, 2019
Arthaud Barkovitch
Site internet du cinéma La Clef (revival) en lutte contre sa fermeture : https://laclefrevival.wordpress.com/
La plupart des films de Brice Dellsperger sont visibles sur sa page vimeo : https://vimeo.com/user13687930
L’évènement-facebook d’Air de Paris projetant Body Double 36-37 du 20 juin au 30 juillet : https://www.facebook.com/events/600987717439964
Body Double 36
Réalisé par Brice Dellsperger
Avec Jean-Biche
Expérimental, installation, 10 minutes, boucle
2019
Body Double 37
Réalisé par Brice Dellsperger
Avec Brice Dellsperger
Expérimental, 5 minutes, boucle
2020
A voir à la galerie Air de Paris à partir du 20 juin 2020