[CRITIQUE] Un pays qui se tient sage

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Entre 2018 et 2020, les Gilets Jaunes manifestent leur désaccord et leur mécontentement. La violence des manifestations est médiatisée : les images et les accusations de violences policières se multiplient en même temps que les blessures. Le Président Emmanuel Macron les récuse.

Le dispositif est simple et efficace : deux personnes qui, pour la plupart, ne se connaissent pas sont confrontées à des images auxquelles elles réagissent. Sur l’écran, sous leurs yeux et sous nos yeux, les captations des violences se multiplient. Témoignages, dialogues et analyses les éclairent et nourrissent notre regard. 

Le contraste est violent, autant que les images. Contraste entre les interactions, posées, calmes, et la violence des images amateures, presque insoutenables malgré la retenue du cinéaste. Contraste avec les discours politiques et médiatiques, frénétiques, qui nient ce que l’on vient pourtant de voir. Le documentaire de David Dufresne montre autant qu’il évoque l’importance de ces captations. Rendant immédiatement visible ce qui était auparavant tu ou dévoilé après-coup, elles ont le pouvoir des preuves, et le cinéaste, engagé, s’en sert pour appuyer son propos. 

En opposition à la télévision, il ne dresse pas de procès d’intention aux individus, n’oppose pas de groupes mais met tous ses protagonistes sur un pied d’égalité. Peu importe qu’ils soient policiers ou Gilets Jaunes, mère au foyer ou universitaire, les intervenants ne seront identifiés qu’à la fin du film. Ils sont tous filmés de la même manière et leurs paroles se mêlent sans aucune hiérarchie. Le témoignage des victimes, filmées avec respect et retenue, n’est pas spectaculaire, mais l’émotion est perceptible. Le traumatisme affleure et cela suffit à toucher le spectateur, cela suffit à comprendre. Lucides, elles énoncent aussi la violence du système, qui ne se cantonne pas à la violence physique.

Un pays qui se tient sage. Une référence à un groupe de lycéens des banlieues mis à genoux et moqués par les policiers qui les filment. Une image-bascule. Aucune échauffourée, aucun moyen de rétorquer qu’il s’agissait de légitime défense, juste l’humiliation. À elle seule, bien que très courte, la séquence montre toute la complexité de la question posée par le cinéaste, celle de la légitimité de la violence de l’État. 

Un pays qui se tient sage. Un pays qu’on discipline mais aussi un pays qui accepte d’être discipliné. La question du rituel et du symbolique est soulevée par les intervenants, qui remarquent que la violence qu’on a dit inouïe, insoutenable, ne devient jamais révolutionnaire, jamais anarchique. Car la légitimité de la répression est directement liée à la démocratie, concluent les intervenants. Se terminant par une séquence-choc, puis le silence, Un pays qui se tient sage n’est pas un film que l’on peut oublier rapidement mais une invitation à poursuivre la réflexion.

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=FDCnWwan7IM&w=560&h=315]

Johanna Benoist

Un pays qui se tient sage
Réalisé par David Dufresne
Documentaire, France, 1h26
30 septembre 2020
Disponible à la location sur Univerciné, Canal VOD & Orange

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