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Le Festival international du film d’animation d’Annecy s’est tenu il y a quelques semaines du 11 au 17 juin. Cette semaine a été riche en découvertes et en merveilles d’animations tant du côté de la télévision, de la réalité virtuelle ou que du cinéma.
Le Mexique a été mis à l’honneur. L’occasion de leur rendre hommage à travers de nombreuses sélections de films — essentiellement des courts-métrages —, la leçon de cinéma de Guillermo del Toro, dont le dernier film, Pinocchio, a reçu le prix du meilleur film d’animation aux Oscars. Mais aussi de proposer une affiche magnifique dessinée par l’artiste Jorge Gutierrez — réalisateur entre autres de La Légende de Manolo (2014).
Le festival d’Annecy c’est également une ambiance, un air de vacances dans les petites rues pavées ou le long du canal qui mène jusqu’au lac. Même sous la pluie, la ville ne perd pas de son charme. Ainsi entre deux séances, une baignade dans les eaux turquoise du lac perdu au milieu des montagnes offre un instant de détente.
Parmi les films découverts pendant les quelques jours en début de festival, aucune erreur, tous sont brillants. À travers sept longs-métrages — trop peu pour vraiment prendre le pouls de cet événement international —, nous avons pu apercevoir quelques thématiques qui habitent les artistes aujourd’hui : l’ouverture d’esprit, la tolérance, le partage, la mémoire et plus particulièrement la biodiversité.
Retour sur les films vus pendant ces trois jours à la fois intenses et tranquilles. Dans cette première partie, nous nous attardons sur les films à destination d’un public plus adolescent et adulte. Retrouvez les films tout public, dans notre seconde partie. Bonne lecture !
Le Château solitaire dans le miroir – Keiichi Hara
Kokoro est victime de harcèlement scolaire. Depuis qu’elle n’arrive plus à aller à l’école, elle reste enfermée dans sa chambre. Un jour, son miroir se met à briller. Au moment où elle l’effleure, elle se retrouve propulsée dans un château au milieu de l’océan. Avec elle, six autres adolescent.e.s. Iels ont la même mission : trouver une clé qui leur permettra d’exaucer un vœu, n’importe lequel.

Présenté en compétition Officielle au festival d’Annecy, Le Château solitaire dans le miroir parle de harcèlement scolaire et de la solitude des enfants à travers différentes époques. Le cinéaste japonais Keiichi Hara est un habitué d’Annecy puisque c’est la quatrième fois qu’un de ses films est en compétition. Réalisateur de Wonderland, le royaume sans pluie (Festival d’Annecy 2019), Miss Hokusai (Festival d’Annecy 2015 – Prix du Jury) et Colorful (Festival d’Annecy 2011 – Prix du Public et Mention spéciale), il est monté sur la scène de Bonlieu pour présenter son film. Grave, il a brandi un chiffre tout au long de son discours : 514. Ce nombre fatal est le nombre d’enfants suicidés au Japon en 2022 (primaire/collège/lycée). C’est le plus haut chiffre depuis la création de ce recensement en 1980. Il souhaitait faire ce film pour rappeler que même dans les moments difficiles, nous ne sommes pas seul.e, loin de là. La gorge quelque peu serrée, mais remplie d’espoir, le long-métrage a pu commencer.
Après quelques instants proches des drames japonais que nous avons l’habitude de voir en France — assez fort et distant, comme si les sentiments devaient être enveloppés dans de la soie —, le récit penche peu à peu vers le fantastique. Pourtant, une fois passé le moment mystérieux où une jeune fille avec un masque de loup donne les règles à suivre pour survivre dans le château, l’atmosphère se détend. Vient alors une ambiance de foyer confortable et des jeunes gens se retrouvent pour être ensemble. Le film n’a finalement que quelques moments d’éclats assez typiques des animations japonaises où les sentiments explosent à force de trop de retenues. Le cinéaste réussit à mêler fantastique et drame du quotidien en parlant du mal-être chez les enfants et adolescents. Assez finement d’ailleurs, il dévoile les histoires des autres personnages qui accompagnent Kokoro tout au long du film. La solitude est alors brisée par leur présence.
Ce désir de rester ensemble, d’être entouré.e.s de personnes aimantes traversent le scénario sans jamais se perdre. Chaque enfant possède un vécu unique, pourtant tous et toutes souffrent de la solitude harassante de la violence des autres. Ainsi, même si l’animation, assez classique, et le cheminement jusqu’au déroulement, lui aussi assez classique, Le Château solitaire dans le miroir touche juste.
Four souls of Coyote – Áron Gauder
Une montagne se dresse seule face à un oléoduc. Les machines vont la détruire, mais de jeunes Amérindiens et activistes s’opposent à cette destruction. À la nuit tombée, le grand-père d’une des jeunes femmes raconte le mythe de la Création.

Coyote est un esprit farceur qui veut tout à son avantage, il n’est pas le mal, mais incarne la bassesse, la mort et la cruauté. Dans les divinités nord-amérindiennes, il porte parfois le nom d’Akba-Atatdia, «?le vieil homme?». Dans les mythes de la Création amérindienne, il y a souvent le créateur et le destructeur. Coyote est celui qui détruit en apportant le meurtre pour la première dans les terres où personne ne mourrait. Four souls of Coyote est un mélange de plusieurs contes des origines, tirant l’essentiel : l’être humain n’est pas au centre du monde.
Prix du Jury en compétition Officielle au Festival d’Annecy en 2023, ce film d’animation hongrois est le deuxième long-métrage d’Áron Gauder. Le récit s’ouvre à notre époque : une entreprise américaine représentée par une femme qui vocifère des ordres, le paysage qui l’entoure n’existe plus. Les engins de chantier ont tout détruit, laissant un monde de désolation et de boue. Face à eux, une montagne, dernier archipel de la vie. Il faut des autorisations, des droits, des papiers pour pouvoir continuer à creuser et annihiler, mais qu’importe pour cette femme, il faut avancer. Elle intime que demain à 6 h, les machines fonceront pour détruire les dernières couleurs de la plaine. Cette vision aurait pu être caricaturale, le trait aurait dû être grossi, mais non, c’est la triste réalité. L’oléoduc passera. Les manifestant.e.s qui se dressent face à eux semblent tout petit.e.s et insignifiante.s. En ancrant le récit des origines dans un décor très moderne, le cinéaste nous montre encore plus l’absurdité de la destruction de la nature.
Le scénario expose l’autre point de vue. Celui que le monde occidental nie, n’écoute pas et masque. Le récit central de nos modes de vie est loin d’être le seul et Four souls of Coyote le rappelle. À force de toujours penser que nous sommes les gagnants dans la lutte des vivants, nous sommes en train de perdre cruellement notre humanité et notre lien qui nous unit à la terre. La modernité que nous vantons et dans lequel nous nous vautrons n’était finalement pas monstrueuse, atroce et destructrice?? Où sont la transmission, la communication et notre rapport aux autres êtres vivants?? Ne passe-t-il que par la mort et le massacre?? Le film nous met face à nos contradictions de la meilleure manière qui soit : à travers un récit passionnant, non sans humour, et une image très belle aux couleurs luxuriantes.
Four souls of Coyote nous rappelle que «?quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson pêché, alors vous découvrirez que l’argent ne se mange pas.?» Proverbe amérindien
White Plastic Sky – Tibor Banoczki et Sarolta Szabo
Budapest 2123, la terre est stérile et la planète dévastée, il n’y a plus de végétaux ni d’animaux. Pour se nourrir, les humains font don de leur corps à 50 ans pour qu’une graine pousse à l’intérieur d’eux et ainsi créé un arbre comestible.

Sélectionné en compétition Contrechamps au Festival d’Annecy cette année et dans la section Encounters à la Berlinale, ce film slovaque et hongrois est une petite pépite de récit à la fois dystopique et utopiste. À travers la catastrophe qui frappe la terre, une nouvelle forme de vie émerge. Une nouvelle forme d’humanité. Alors que la planète est ravagée, les humains perdent le peu de contact avec la nature qui leur restait. À force de vivre dans une ville sans arbre ni animaux, peut-être ont-ils perdu leur humanité?? White Plastic Sky pose ainsi la question de la vie à quel prix.
Nous suivons dans ce monde sans vie, Nora et Stefan qui ont perdu leur fils. À 32 ans, Nora se sent comme une coquille vide. Le temps et son entourage n’arrivent pas à réparer sa perte. Son mari, psychologue, ne voit pas sa détresse et est passé à autre chose. Elle décide de donner son corps et se fait planter une graine. Aveugle, Stefan ne réalise que quand il est trop tard. Nora quitte le dôme en plastique de Budapest pour rejoindre une forêt artificielle où elle dormira pour toujours sous la forme d’un arbre. Stefan, qui semblait insensible, se met alors à tout faire pour sauver son épouse. À travers le récit intime d’un couple qui cherche à se reconstruire, le scénario nous permet de voir la structure de l’ensemble de cette société et de comprendre l’absurdité d’une sauvegarde de l’humanité à n’importe quel prix.
Le futur Budapest dépeint par le film paraît vide de sens où les publicités incitent les gens à avoir des enfants jeunes pour pouvoir profiter de leurs petits enfants, comme s’il fallait une raison à la vie. La continuation de l’espèce, encore et toujours. L’environnement n’est plus que béton, images numériques qui imitent des arbres, nourriture artificielle… Le monde proposé est déprimant tant le contact avec l’autre semble inexistant. Quand Stefan arrive dans les serres où poussent les arbres humanoïdes, il ne découvre qu’un champ intensif et des scientifiques en blouse blanche. Ce ne sont plus des êtres humains, mais de la nourriture, des objets. Impossible de ne pas penser à nos champs monocultures qui font pousser à perte de vue, la même céréale. De plus, comme par ironie, trois ans après avoir été plantés, les arbres produisent des fleurs empoisonnées. Il faut les brûler, car une fois dans l’atmosphère les fleurs asphyxient l’air tuant femmes et hommes. De son côté, Nora se connecte de plus en plus avec la douleur et le vécu des arbres. Cette nouvelle forme d’humanité est belle, mais la souffrance qu’infligent les humains montre l’incapacité — même après une catastrophe — de notre espèce à comprendre la différence et à accepter l’inconnu.
Pour rendre encore plus prégnant ce récit, l’animation de ce premier long-métrage est extrêmement réaliste. Les personnages, dont les ombres et émotions parcourent à tout instant le corps et le visage, sont émergés dans une ambiance post-apocalyptique avec des paysages désertiques. Les deux cinéastes hongrois, Tibor Bánóczki et Sarolta Szabó, qui se font également appeler les Domestic Infelicity, travaillent depuis de nombreuses années ensemble avec un mélange de prises de vue réelles et d’animation autour de thématiques assez catastrophiques. Ils ont mis sept ans à faire ce film troublant. La technologie utilisée pour rendre vivant les personnages fait penser au film d’animation de Richard Linklater, A Scanner Darkly, où des acteurs et actrices donnent corps au dessin. Tamás Keresztes et Zsófia Szamosi prêtent ainsi leur corps et leurs voix à Stefan et Nora. L’utilisation de la rotoscopie (technique qui consiste à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vues réelle) est plus que pertinente, car le scénario s’interroge sur notre rapport au corps et à nos sensations.
White Plastic Sky propose une autre vision du monde presque salvatrice. Suspendus, le temps que la graine possède entièrement le corps de Nora, les deux personnages apprennent à se reconnecter entre eux, perdus dans le désert et seuls au monde. Si le film proposait une vision sombre de l’humanité, il évolue vers une autre forme, magnifique.
Marine Moutot
Le Château solitaire dans le miroir
Réalisé par Keiichi Hara
Drame, Fantastique, Japon, 1h56
13 septembre 2023
EuroZoom
Four souls of Coyote
Réalisé par Áron Gauder
Drame, Hongrie, 1h43
Prochainement (nous espérons)
EuroZoom
White Plastic Sky
Réalisé par Tibor Banoczki et Sarolta Szabo
Avec Tamás Keresztes et Zsófia Szamosi
Science-fiction, Hongrie, Slovaquie, 1h52
Prochainement
KMBO