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Les inspecteurs Cham Lau et Will Ren sont sur la trace d’un tueur en série de femmes. La jeune délinquante Wong To se retrouve à devoir les aider malgré elle.
Présenté en séance spéciale à la Berlinale 2021, pendant le COVID, et à Reims Polar 2023 – où il a reçu Grand prix du jury et Prix de la critique, le film policier du cinéaste hongkongais Chaeng Soi est une traque effroyable d’un étrange tueur dans la pauvreté des rues de Hong-Kong. Très graphique, en noir et blanc, l’image léchée fait ressortir les lignes des bâtiments qui semblent en ruine. Hong-Kong, ville resserrée sur elle-même où la population vit les uns sur les autres, prend des airs de ville fantôme. Dans les déchets et les poubelles, les morceaux de cadavres poussent. Il s’agit toujours de femmes – premières victimes des serial killers – et toujours de la main gauche. Le réalisateur filme ainsi ce que l’on ne voit jamais : la lie des villes. C’est par l’odeur que passe également l’horreur de ces endroits. Seul le vétéran et inspecteur Cham Lau arrive à supporter la puanteur, tandis que le jeune Will Ren ne peut rien sentir d’autre que la crasse et la moisissure.
Après une tournée de grands festivals à travers le monde, Limbo arrive enfin sur les grands écrans français.
Limbo n’échappe pas aux règles du genre : l’ultra violence et la virilité exacerbées. Le seul personnage principal féminin est la jeune Wong To, qui a gravement blessé dans un accident de voiture, la femme de l’inspecteur Cham Lau. Maltraitée, battue, humiliée, elle revient pourtant demander pardon. Elle ne veut pas fuir, mais vivre libre et effacer le crime qu’elle a commis des années auparavant. C’est pour cela qu’elle accepte d’être traitée comme un déchet tant par la police que par les mafieux pour lesquels elle travaillait. Mais, elle n’est pas la seule à être malmenée ainsi. Tous les personnages féminins sont rabaissés et traités en individu sans valeur ni utilité. Cette virilité toxique inonde le récit : les inspecteurs étant plus violents que le tueur en série qui a l’unique geste affectueux envers Wong To de tout le film. Ils sont d’ailleurs plus préoccupés d’avoir perdu une arme à feu — symbole phallique — que de l’état de la fille qui a été rouée de coups et lacérée par des couteaux. Cette violence inhérente au récit, cette saleté du décor, la vilenie des personnages principaux, tout tend à faire penser que le film est une critique du système en place. Adapté du roman de Lei Mi, The Wisdom Tooth, Limbo parle d’une douleur qui ne s’efface jamais : celle de la perte – d’honneur, d’identité, d’un amour…
Magistral, ce film coupe le souffle. Cette mise en scène de la violence ultra stylisée vaut le détour pour ce qu’il montre de la ville à travers sa photographie. Loin d’être lisse, elle marque au contraire les contours des bâtiments et installe une frontière entre les différents quartiers et surtout entre les êtres humains.
Marine Moutot
Limbo
Réalisé par Cheang Soi
Avec Lam Ka Tung, Liu Cya, Mason Lee, Hiroyuki Ikeuchi
Policier, Hong-Kong, Chine, 1h58
12 juillet 2023
Kinovista