[CRITIQUE] The Pod Generation

Temps de lecture : 5 minutes

Rachel et Alvy habitent à New-York, un New-York futuriste. Rachel brille dans son poste dans une agence digitale et Alvy est professeur de botanique. Dans une ville où la nature est artificielle, la question se pose pour le couple d’agrandir leur famille de manière naturelle ou non. En effet, il est possible de faire naître un enfant dans un œuf connecté. Entre réflexion éthique, remise en question des nouveaux styles de vie et obstacles liés à une nouvelle dynamique de famille, le couple va faire face à des choix cornéliens.

« Science-fiction » ; « comédie romantique » ; « drame » ; « dystopie » ; nous trouvons de tout lorsque nous cherchons la catégorie de The Pod Generation, troisième film de Sophie Barthes (Âmes en stock, 2010 ; Madame Bovary, 2014). Le plus intéressant, c’est que tous ces genres collent au long métrage de la réalisatrice française. Dans un futur assez proche, cette fiction met en lumière des avancées technologiques et scientifiques non avérées : science-fiction. Nous suivons la vie de couple de Rachel et Alvy (et leur chat) qui semblent heureux et amoureux mais qui vont devoir faire évoluer leur relation parfois de manière maladroite pour s’adapter à leur entourage : comédie romantique. Tous les changements que vont entreprendre Rachel (Emilia Clarke) et Alvy (Chiwetel Ejiofor) vont principalement les chambouler indépendamment et remettre en question leurs envies et leur avenir : drame romantique. En effet, ils souhaitent fonder une famille et plusieurs options s’offrent à eux : entreprendre une grossesse naturelle ou sous-traiter la gestation à une entreprise qui gère la croissance des embryons dans des œufs connectés – pod : dystopie. Par conséquent, la pluralité des genres permet au film d’être interprété de manières différentes et de rester captivant tout du long. 

Néanmoins, l’aspect « avancées scientifiques » reste le fil rouge le plus intriguant. Au risque de mettre fin à sa carrière en optant pour une grossesse naturelle, Rachel prend finalement la décision de réserver une place dans le « Centre de l’utérus », une firme florissante qui met la technologie au service de l’humanité. Il s’agit tout simplement de fournir un utérus portable connecté, géré par une application mobile. Tout est créé à l’intérieur de ce pod pour que le bébé puisse grandir comme s’il était dans le ventre d’une femme. Beaucoup de couples semblent avoir opté pour ces grossesses et les femmes enceintes naturellement sont considérées comme des combattantes. Il faut souligner que cet acte n’a pas un coût anodin (plus d’une dizaine de milliers de dollars) mais dans cette société, les femmes sont sponsorisées par leurs entreprises, qui ne veulent pas perdre de bons éléments, même le temps d’une grossesse. Au-delà du caractère technologique de cette opération, le récit pose beaucoup de questions déontologiques voire philosophiques et ce, sans jugement. Les faits sont juste posés là, parfois même sous-jacents et jamais de manière obscène, ni vulgaire, ce qui rend le propos assez lisse, certes, mais aussi très juste.  

Cette atmosphère lissée est très présente dans le film que ce soit dans les décors, dans l’expression des émotions, tout semble aseptisé – sans être complètement neutre. Ce futur proche a rendu les new-yorkais dépendants de toutes technologies. Les intelligences artificielles sont partout, dans toutes les maisons, dans tous les quotidiens. Les psychologues sont remplacés par de simples voix IA, les pauses déjeuners font office de pauses nature dans des capsules avec son et lumière de la mer et tout semble être normal et intégré dans la vie de tout le monde. Le film ne dépeint pas une rébellion envers cette société actuelle. Hormis pour le personnage d’Alvy – botaniste – quelque peu réfractaire face à ces avancées, contrairement à Rachel, qui signe la réservation d’un fameux pod. Encore une fois, ces oppositions ne sont pas montrées de manières brutales, tout se joue dans les regards, les soupirs, les émotions qui restent suspendues dans l’air. Tout est équilibré.

Cependant, tout n’est pas si subtil que cela. Certains éléments débarquent avec de gros sabots, ce qui amateurise le récit. Tous les parallèles entre la grossesse naturelle et artificielle reviennent régulièrement dans une mise en scène légèrement clichée. Par exemple, une femme qui porte un enfant dans son ventre dans un lieu public et Rachel ou Alvy vont essayer de porter le pod sous leurs vêtements.
Nous assistons à un cheminement, presque en silence, pour chacun des protagonistes, qui se sentent piégés face à leur désir d’enfant et le moyen d’y arriver. Désynchronisé.e.s, iels vont tour à tour accepter la situation, puis la rejeter. L’alchimie du couple participe au fondement du film et fait en sorte que nous y croyons. Nous croyons à leur projet. Puis, le retour à la nature prend de plus en plus de place. Le couple veut revivre loin de l’urbanisation extrême, dans leur maison de campagne. En plus du changement de décors, l’opposition à la ville se reflète aussi dans le choix des couleurs et de la lumière. La palette chromatique est beaucoup plus chaude, les tenues vestimentaires sont plus confortables avec des matières moins rigides, plus douces. Quant à la vie urbaine, elle est plus fade, plus froide et donc « plus lisse ». 

The Pod Generation soulève beaucoup d’interrogations. Il fait réfléchir seulement avec des petites choses parsemées ici et là. Nous rentrons facilement dans cette époque qui peut paraître lointaine mais qui n’est pas si fictionnelle que cela car la plupart des avancées technologiques et les modes de vies dépeints sont des simples évolutions de ce qui existe déjà. C’est la raison également pour laquelle le film a un côté réconfortant. Nous arrivons facilement à nous identifier au duo attachant Emilia Clarke/ Chiwetel Ejiofor. Principalement grâce aux jeux de ces deux acteur et actrice, déjà salué.e.s par la critique, Chiwetel Ejiofor a remporté près d’une trentaine de récompenses pour Twleve Years a Slave (Steve McQueen, 2014) et Emilia Clarke, révélée au public en interprétant Daenerys Targaryen dans la série Game of Thrones (David Benioff, D. B. Weiss, 2011-2019), et devenue plus familière avec les romances comme Me Before You (Thea Sharrock, 2016) ou Last Christmas (Paul Feig, 2019).  

Ce long métrage, inclassable, sélectionné au festival du cinéma américain de Deauville 2023, offre un moment ambivalent, dont le récit oscille entre réticence et curiosité.
Malgré des problématiques qui nous font ressortir de la salle en nous demandant ce que nous allons devenir, il reste toujours un fond d’histoire d’amour qui maintient l’espoir éveillé. 

Déborah Mattana

The Pod Generation
De Sophie Barthes
Avec Emilia Clarke, Chiwetel Ejiofor
Belgique, Etats-Unis, France
2023
Jour2fête
Actuellement en salles

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