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[Cet article contient des spoilers]
Mariée à Ivano, Delia, mère de trois enfants, vit à Rome dans la seconde moitié des années 40. La ville est alors partagée entre l’espoir né de la Libération et les difficultés matérielles engendrées par la guerre qui vient à peine de s’achever. Face à son mari autoritaire et violent, Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa avec qui elle partage des moments de légèreté et des confidences intimes. Leur routine morose prend fin au printemps, lorsque toute la famille en émoi s’apprête à célébrer les fiançailles imminentes de leur fille aînée, Marcella. Mais l’arrivée d’une lettre mystérieuse va tout bouleverser et pousser Delia à trouver le courage d’imaginer un avenir meilleur, et pas seulement pour elle-même.
Après avoir fait sensation en Italie, C’è ancora domani – Il reste encore demain en français – est arrivé dans les salles obscures de l’hexagone le mercredi 13 mars. À la tête de ce film à succès, Paola Cortellesi, une star italienne, plutôt habituée à la télévision et aux planches de théâtre. Malgré quelques incartades au cinéma depuis le début des années 2000, elle marque avec C’è ancora domani (dont elle est également co-scénariste) ses débuts dans le monde de la réalisation. Et quel succès ! Avec ses trois récompenses au Festival de Rome (dont le Prix du Public) et ses cinq millions d’entrées, ce premier film peut se targuer d’avoir battu au box-office italien, les deux mastodontes américains de 2023, Barbie (4,2 millions d’entrées en Italie) et Oppenheimer (3,7 millions d’entrées en Italie).
Dans son pays d’origine, le film est devenu un véritable événement, LE film à ne surtout pas louper. Au fil des semaines, il est même devenu un support scolaire pour éduquer les plus jeunes contre les violences faites aux femmes. Autre fait marquant, quelques temps après le sortie du film (octobre 2023), une jeune italienne de 22 ans fut assassinée par son ex-petit ami : un homme jeune, issu de la classe moyenne et à la vie apparemment “normale”. Ce féminicide connu sour le nom de “l’Affaire Turetta” mis en lumière plusieurs problèmes quant à la façon de traiter les violences sexuelles en Italie ; malgré l’appel d’un témoin, la police ne jugea pas nécessaire de se déplacer pour aider la victime. De plus, le premier avocat choisi par le coupable fut pointé du doigt pour des commentaires misogynes et minimisant les violences faites aux femmes.
Cette “affaire Turetta” éveilla les consciences italiennes et le film de Cortellesi vint cristalliser la révolte féministe et la lutte contre les violences sexistes.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que C’è ancora domani ne laisse aucun doute sur le sens de son histoire, et ce dès la première scène. Le film commence par une gifle assénée par Ivano (Valerio Mastandra) à sa femme Delia (Paola Cortellesi), de bon matin et avant même que le couple ne quitte son lit. Le ton est donné immédiatement et la réalisatrice ne prend que quelques minutes pour exposer la situation. Delia mère de trois enfants est mariée à Ivano, un homme infect, misogyne et extrêmement violent tant avec ses poings qu’avec ses mots. Dès les premières scènes, la mère de famille est rabaissée devant ses propres enfants et ne se défend jamais. Pour Ivano, elle n’est pas un être humain. Elle est un objet, un pantin censé ne pas réfléchir et obéir à chacun de ses ordres.
Il n’en faut pas plus pour ressentir la monotonie de cette situation, la prison dans laquelle Delia reste bloquée depuis des années. Esclave de son mari, elle est aussi esclave de son beau-père, un vieil italien alité, aux mains baladeuses et aux pensées arriérées (pour lui, son fils aurait dû se marier avec l’une de ses cousines !) On sent que, dans cette maison vieille et terne, Delia survit. Elle est écrasée par une société patriarcale de l’après-guerre où, les droits de la femme n’en sont qu’à leurs balbutiements. Delia retrouve un semblant de liberté lorsque son mari part travailler et qu’elle peut alors quitter la maison ; au rythme de la musique Calvin de The Jon Spencer Blues Explosion, elle marche d’un pas assuré à travers les rues italiennes où se côtoient jeunes amoureux, vieillards, marchands, enfants et soldats américains. Le harcèlement de rue est bien là mais Delia n’y prêtes pas attention ; une manière subtiles de montrer que cette pratique est encrée dans les moeurs et que les femme s’y sont – malheureusement – habituées. La mère enchaîne les petits boulots, (lingère, apprentie infirmière, réparatrice de parapluie, …) arpente la ville pour gagner de l’argent et trouve un peu de réconfort et de légèreté que lorsqu’elle retrouve son amie Marisa (Emanuela Fanelli) ou, Nino (Vinicio Marchioni) un amour de jeunesse qui – peut-être – aurait pu lui offrir une autre vie. Peut-être seulement… Car si Nino semble à l’opposé du mari tant il est doux, souriant, attentionné envers Delia, la réalisatrice utilise son film pour montrer que même l’homme le plus adorable aux premiers abords, peut à son tour devenir comme Ivano. Cortellesi pointe du doigt l’un des problèmes profonds de la société italienne ; l’éducation archaïque et misogyne des jeunes hommes italiens.
L’une des forces du film est de montrer à quel point les violences envers les femmes sont devenues monnaies courantes et, systémiques. Tout le monde sait comment se comporte Ivano, mais personne n’intervient. Delia prend les coups sans rechigner, comme si c’était son devoir mais paradoxalement, si la violence est belle et bien ressentie par le public, elle n’est pas pour autant montrée. Les scènes les plus brutales se muent en un moment musical pendant lequel Delia et Ivano interprètent une sorte de danse contemporaine. L’idée est originale, un peu déstabilisante au début mais au final, le choix de Cortellesi ne marque que plus encore l’aspect répétitif des gestes et donc, de la violence. La réalisatrice n’a pas besoin d’insister sur l’horreur ; le simple fait de voir Ivano fermer les fenêtres – un geste habituel pour lui avant qu’il ne se mue en un monstre de violence – suffit à créer une tension chez les spectateurs.
Plus encore, Cortellesi nous montre (et le drame de l’affaire Turetta n’en est qu’une preuve supplémentaire) que la brutalité n’appartient pas au passé mais que la société italienne (et pas seulement elle) souffre toujours de ce mal. Ainsi, elle allie l’histoire des années d’après-guerre à une bande musicale particulièrement moderne qui contraste également avec l’utilisation du noir et blanc. Avec ses mélanges, la réalisatrice rend son histoire universelle et en profite au passage pour rendre un petit hommage au néo-réalisme et à la comédie italienne.
Le film est porté par Paola Cortellesi elle-même. Dans le rôle de Delia, elle dépeint une femme soumise, écrasée par le patriarcat. Bien que parfois craintive, elle sait aussi se montrer très forte lorsqu’il s’agit de protéger ses enfants et notamment sa fille. Cortellesi n’en fait pas une femme faible ou idiote comme l’imagine Ivano. Le portrait que dresse l’actrice/réalisatrice est bien plus complexe et, si le spectateur peut être désarçonné face aux choix de Delia, c’est parce qu’il veut qu’elle se batte, qu’elle se dresse contre cette vie malheureuse que lui a imposé son mariage avec Ivano. Le personnage est attachant, surprenant et vient clôturer le film de la meilleure manière qui soit. Le geste est symbolique mais fort et, montre l’évolution de Delia ; d’une femme soumise à la société patriarcale italienne, elle se mue en un outils du changement de la société, et elle n’est pas seule. Le chantier est énorme mais elle apporte sa pierre à l’édifice. Ce n’est pas dans les bras d’un autre homme qu’elle trouvera le bonheur, mais en participant à une révolution, qui changera peut-être sa vie, celle de sa fille et celles de toutes les autres femmes italiennes.
Il reste encore demain est un film oscillant entre douceur et dureté, mélangeant les genres, les esthétiques et jouant avec les attentes et les idées reçues des spectateurs. Sous ses airs de simple film “populaire” (la promotion française s’est appuyée principalement sur le nombre d’entrées spectaculaires réalisées en Italie), l’œuvre de Paola Cortellesi regorge en fait d’énormément d’inspirations, tant sur le plan technique que scénaristique. En dépeignant la vie misérable de Delia jusqu’à sa prise de conscience et son action finale, l’actrice et réalisatrice livre un véritable petit bijou de cinéma, quasi parfait de bout en bout.
Camille Dubois
Il reste encore demain (C’è ancora domani)
De Paola Cortellesi
Avec Paola Cortellesi, Valerio Mastandrea, Romana Maggiora
Comédie dramatique, Italie, 1h58
Universal Pictures International France
Sorti en salle le 13 mars 2024