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Le Festival Lumière est de retour pour sa quinzième année. Entre restaurations, séances évènements, films classiques et cultes, découvertes, avant-premières et masterclass, on vous parle de nos déambulations à travers les salles lyonnaises et les différents lieux de festivités !
Vendredi 18 octobre
Tout comme la veille, notre journée commence au cinéma Lumière Terreaux où nous avons le plaisir d’arriver les premières et donc, de profiter du calme avant la tempête ! Nous répétons les gestes habituels et après avoir allumé les quatre salles du cinéma, nous effectuons quelques tests pour les séances du Festival. Ce matin-là, nous passons notamment un peu plus de temps sur le film Chantage d’Alfred Hitchcock (1929) qui est proposé cette année dans sa version restaurée et parlante. Nous devons l’admettre, nous avons une petite préférence pour la version intégralement muette mais nous sommes tout de même ravies que des spectateurs puissent voir ou revoir ce très bon film en salle !
Finalement, le reste de l’équipe et les bénévoles arrivent bientôt. Les suivent de très près les premiers festivaliers venus pour assister à la projection de Sans rien savoir d’elle de Luigi Comencini (1969). Dans les autres salles du cinéma, les salles se remplissent doucement pour The Apprentice (Ali Abbasi, 2024), Sauvages (Claude Barras, 2024), Les Graines du figuier sauvage (Mohammad Rasoulof, 2024) ou encore Quand vient l’automne de François Ozon (2024) qui rencontre un petit succès auprès du public.
Arrive la deuxième séance du festival et cette fois-ci, l’ambiance n’est plus tout à fait la même dans le hall d’entrée. Petit à petit, nous sentons la pression montée et pour cause, nous attendons la venue de Nicolas Winding Refn ! Également présent à la séance, James Franco, invité surprise de ce Festival Lumière. Le réalisateur arrive un peu avant la séance, tout comme Thierry Frémaux. La salle est pleine à craquer pour cette projection de Pusher (1996) et du court-métrage Beauty is not a sin, dernier projet de Nicolas Winding Refn. La présentation terminée et la séance lancée, la tension redescend et nous terminons tranquillement notre travail.
17h. Nous quittons le Lumière Terreaux pour rejoindre le Lumière Bellecour situé non loin de la place du même nom, si célèbre à Lyon. Par la même occasion, nous quittons notre tenue de projectionniste pour endosser celle de responsable de salle. Notre première mission de la soirée est de gérer une séance – qui s’annonce plutôt calme.. C’est tout de même une bonne quarantaine de personnes qui se présente au 20h dans la salle numéro une pour assister à la projection d’un film de Jean Delannoy, Pontcarral, colonel d’Empire (1942). Film assez peu montré, Pathé a décidé de le restaurer en exclusivité pour le Festival Lumière et en soutien avec le CNC. C’est donc une copie sublime que nous avons la chance de proposer ce soir ! Et nous n’hésitons pas à le dire en présentant la séance.

Adapté du roman de d’Albéric Cahuet, Pontcarral (1937), le film raconte l’histoire de Pierre Pontcarral, un colonel vouant un culte à Napoléon 1er mais, devant composer avec une vie sans l’Empereur à la tête de la France.
Ce film connut un grand succès à sa sortie. A vrai dire, il fut même la première grande réussite public de son réalisateur Jean Delannoy. Ayant commencé comme acteur de cinéma muet, Delannoy passa à la réalisation en 1934. Si on se souvient souvent de ses films Maigret avec Jean Gabin (Maigret tend un piège en 1958 et Maigret et l’Affaire Saint-Fiacre en 1959), sa filmographie regroupe en réalité énormément de mélodrames et d’adaptations dont La Symphonie pastorale (1946) qui lui valu une Palme d’or à Cannes. Comme de nombreux réalisateurs de cette époque, Jean Delannoy ne fut pas épargné par l’arrivée de la Nouvelle Vague dans les années 1950. Il fit l’objet de violentes critiques de la part des jeunes réalisateurs mais, continua malgré tout à travailler jusqu’en 1995.
Lorsqu’il commence à tourner Pontcarral, le réalisateur a déjà neuf films à son actif et, même si le succès n’a pas toujours été au rendez-vous, Pathé (qui produit le film) lui offre énormément de moyens pour reconstituer l’époque du colonel. Ainsi, bien que réalisé pendant l’occupation, le film de Jean Delannoy ne manque pas de scènes grandioses (comme celle du défilé des hussards) de costumes magnifiques ou encore de décors parfaitement filmés. En soi, la réalisation de Delannoy est – comme très souvent – particulièrement soignée et la reconstitution de l’époque est assez remarquable !
Mais l’une des choses les plus intéressantes concernant ce film est sans nul doute la rumeur qui l’entoure. Peut-être pourrait-on même parler de légende ! Selon beaucoup de commentaires de l’époque, Pontcarral fut considéré par les spectateurs comme une ôde à la résistance ; en effet, le colonel refuse de céder au régime royaliste. Par son courage et sa détermination, il est (presque) un modèle idéal pour pousser les français à se rebeller contre l’envahisseur.
Une question se pose alors, si le film était si ouvertement anti-allemand, comment se fait-il qu’il rencontra un tel succès populaire ? Comment a-t-il pu passer la censure ?
D’après différentes sources, le fait de cacher son véritable message derrière un sujet historique aurait permis à Pontcarral d’obtenir un visa (ce fut également le cas pour Les Visiteurs de soir de Marcel Carné également sorti en 1942 ; pour beaucoup, ce film est également une ôde à la résistance française). Certains précisent également qu’on a demandé à Jean Delannoy de couper quelques dialogues dont un particulièrement marquant “sortir la France de ses humiliations, de rendre à son drapeau un peu de gloire ” Une phrase qui reprendra sa place dans le film après la Libération.
Lorsqu’on voit ce film aujourd’hui, cette lecture n’est plus si évidente et il est bien difficile de savoir exactement à quel point Pontcarral, colonel d’Empire, eut un impact sur la population française occupée. Ce qui en ressort davantage en 2024, c’est l’expression des sentiments, le cheminement tortueux du héros et un aspect grandiose assez rare dans le cinéma de patrimoine français.
La présentation terminée, nous saluons les bénévoles venus nous prêter main forte ainsi que nos collègues en charge de la projection. Une fois de plus, nous n’avons pas de temps à perdre et nous filons prendre le métro pour rejoindre le quartier de Monplaisir et plus spécifiquement, le Hangar du Premier Film.
Tout comme l’année dernière, le Festival Lumière nous a proposé d’animer la nuit du cinéma se déroulant dans la belle salle de l’Institut. L’année dernière, nous avions eu la chance de présenter quatre films de Kenji Misumi. Cette fois-ci, nous laissons derrière nous les chanbara pour entrer dans l’univers indescriptible du réalisateur Alejandro Jodorowsky ! Cerise sur le gâteau, le réalisateur sera présent et viendra échanger avec le public avant la première séance !
Comme nous nous en doutions, la salle est pleine et encore une cinquantaine de personnes espèrent pouvoir entrer pour assister à cette nuit spéciale. De notre côté, c’est un peu la folie mais tout se passe pour le mieux. Alejandro Jodorowosky finit par arriver, accompagné de sa femme et de deux amis. Nous allons le saluer puis le laissons échanger avec quelques fans, venus faire signer des photographies ou BD. Finalement, 22h30 arrive et nous attrapons les micros pour aller en salle, accompagnés du réalisateur. Nous commençons seule sur scène puis après un superbe montage réalisé par les équipes du Festival, nous accueillons celui que tout le monde surnomme Jodo à nos côtés.
Comme toujours, le réalisateur fait le show et il est difficile de l’arrêter. Proposant d’abord de répondre à des questions, il préfère finalement évoquer les trois films présentés ce soir, évoquant des faits marquants et parfois très personnels liés à chacun d’entre eux. Le public est au ange et sans doute les quelque 270 personnes présentes auraient-elles pu écouter les récits de Jodorowsky pendant des heures. Mais le temps passe et il faut lancer le premier film si on ne veut pas que cette “nuit de cinéma” se termine à 10h du matin !
Alors que la projection commence, nous raccompagnons Alejandro Jodorowsky et sa femme (qui l’accompagne toujours sur scène) en dehors de la salle. Nous en profitons pour le remercier pour cette passionnante intervention. Ce n’est pas tous les jours que l’on a la possibilité d’échanger avec un tel artiste et nous nous rendons bien compte de la chance que nous avons. Alors nous en profitons un peu avant que le réalisateur ne quitte le Hangar. Nous avons même le droit à une étreinte et à des félicitations de sa part pour notre présentation.

Pendant ce temps, en salle, les festivaliers assistent à la projection du film El Topo (1971), une sorte de western psychédélique mexicain. Avec son budget presque dérisoire de 294 000 euros, El Topo nous plonge immédiatement dans l’univers particulièrement riche d’Alejandro Jodorowsky qui s’occupa également du scénario, des décors, des costumes et de la musique.
El Topo suit les aventures d’un pistolero particulièrement doué à travers le désert. Après une rencontre avec une jeune femme, il décidé d’affronter les quatre grands maitres du désert, des êtres particulièrement habiles avec un revolver. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Après son ultime duel, El Topo devient une sorte de Dieu pour un groupe de bannis vivant dans des cavernes.
El Topo regorge de scènes marquantes mélangeant humour surréaliste et inspiration picturale. Si on y retrouve parfois des traces de Dali, on voit aussi dans les cadres se dessiner des images telles celles d’un Goya. Mais malgré ces nombreuses références, Jodorowsky parvient avec ce film à livrer une œuvre unique avec un style totalement personnel et parfois difficile à appréhender.
De par son audace et sa folie, El Topo devint rapidement l’un des films emblématiques des midnight movie ou séance de minuit qui regroupaient les films étranges, provocants ou kitsch ayant pour point commun de défier les codes et les normes d’Hollywood. Il rejoignit ainsi Freaks de Tod Browning (1932), un film qui eut énormément d’influence sur le travail de Jodorowsky.
La séance terminée, les festivaliers ne tardent pas à sortir de la salle pour manger un peu et boire un café. La nuit est loin d’être terminée et le voyage dans l’univers d’un tel réalisateur n’est pas toujours aisé !
Après une trentaine de minutes, nous demandons à tout le monde de retourner en salle pour lancer le deuxième film. Nous reprenons donc le micro pour aller dire quelques mots sur La Montagne Sacrée (1974).

Présenté en avant-première au Festival de Cannes en 1973 (Hors-Compétition), La Montagne Sacrée est une sorte de récit évangélique version Jodorowsky. Inspiré du roman inachevé de René Daumal, Le Mont Analogue (1952), ce film narre le parcours initiatique d’un homme et sa rencontre avec celui que l’on nomme l’alchimiste. Ce dernier lui présente sept personnes particulièrement puissantes dans le monde (homme d’affaires, marchant d’arme, entrepreneur, ..). Prêt à tout abandonner pour obtenir le secret de l’immortalité, les neufs personnages partent pour l’ascension de la Montagne sacrée.
Ainsi, comme dans le roman qui lui sert d’inspiration, ce film est une quête spirituelle et un enchevêtrement de symboles. Chacun des puissants est associé à une planète et représente différents maux qui gangrènent notre société. Pour atteindre l’immortalité, ils doivent se débarrasser de leurs vices mais aussi de leurs possessions. Ainsi, le film s’attaque de manière évidente à la dérive matérialiste de notre société. Jodorowsky déclare lui-même à propos de cette oeuvre : “Avec La Montagne sacrée, j’ai essayé de faire un film qui aurait la profondeur d’un Évangile ou d’un texte bouddhiste ”
En rompant une fois de plus avec ce que propose le cinéma “industriel”, le réalisateur offre un véritable voyage à ses personnages mais également à ses spectateurs, créant une fois de plus, des plans particulièrement travaillés et marquants.
Alors que la séance se termine, les spectateurs sortent à nouveau de la salle pour se remettre de cette véritable expérience visuelle et sensitive. Il est plus de trois heures du matin et la fatigue commence à se faire sentir. Certains préfèrent abandonner là cette nuit mais la plupart des festivaliers, après un nouveau café, se pressent déjà pour retourner à leur place, prêts à profiter de la dernière séance !
C’est le film Santa Sangre qui a été choisi pour terminer cette nuit Jodorowsky. Sorti en 1989, il marque le retour du réalisateur après neuf ans d’absence au cinéma. Entre-temps, Jodo s’est consacré à la bande dessinée, aux tarots (il a écrit plusieurs livres à ce sujet) et a enchaîné les conférences. Il a surtout essayé de monter un projet colossale et malheureusement avorté : l’adaptation de Dune (Frank Herbert, 1965)

Un jour, le scénariste italien Roberto Leoni et Claudio Argento (producteur et frère de Dario) proposent à Jodorowsky de réaliser un film ayant pour trame narrative, une homme souffrant de troubles dissociatifs de la personnalité. Il accepte, modifiant quelque peu le scénario de base et s’inspirant de l’histoire d’un jeune serial killer mexicain qu’il aurait – selon la légende – rencontré par hasard dans un bar. Ce qui résulte de ces rencontres et échanges est un film aux allures de drames oedipiens, gore mais aussi très profond. En effet, dans une narration plus classique, Santa Sangre nous propose de suivre la vie de Fenix (nom qui renvoie bien sûr à l’oiseau mythique qui renaît de ses cendres) ; né d’un père alcoolique et volage, dirigeant d’un cirque et d’une mère, meneuse d’une secte, Fenix grandit dans un environnement violent malgré l’amour de sa mère. Après la mort violente de cette dernière, il est interné dans un hôpital psychiatrique. Lorsqu’il s’en évade, il commet plusieurs meurtres sous les ordres du « fantôme » de sa mère.
Parfait mélange entre Freaks, Psychose (Hitchcock, 1960) ou encore Les Mains d’Orlac (Robert Wiene, 1924), Santa Sangre offre une expérience cinématographique unique. Si le sang coule à flot, le réalisateur n’en oublie pas sa poésie en proposant des scènes particulièrement touchantes, principalement portée par le rôle d’Alma, une jeune femme muette, également élevée dans le cirque et qui semble être la seule capable de comprendre Fenix.
Si le film est une réussite c’est aussi grâce à l’interprétation magistrale d’Axel et d’Adan Jodorowsky ! Les deux fils du réalisateurs, qui jouent Fenix à différents moments de sa vie, sont tout simplement excellents.
Il est plus de six heures du matin lorsque la séance se termine. Les courageux spectateurs restés toute la nuit sont accueillis à la sortie avec des viennoiseries et un bon café.
De notre côté, nous rejoignons rapidement notre appartement et notre lit. Malgré la fatigue, la grasse matinée n’est pas au planning. Ce samedi, en fin de matinée, nous avons un rendez-vous que nous ne voudrions manquer sous aucun prétexte !
Camille Dubois
Pontcarral, colonel d’Empire
Réalisé par Jean Delannoy
Avec Pierre Blanchard, Annie Ducaux, Suzy Carrier
Drame historique, 2h05, 1942
El Topo
Réalisé par Alejandro Jodorowsky
Avec Alejandro Jodorowsky, Mara Lorenzio, David Silva
Western, Experimental, 2h05, 1975
La Montagne Sacrée (The Holy Mountain)
Réalisé par Alejandro Jodorowsky
Avec Alejandro Jodorowsky, Horacio Salinas, Ramona Saunders
Aventure, Expérimental, 1h54, 1974
Santa Sangre
Réalisé par Alejandro Jodorowsky
Avec Axel Jodorowsky, Blanca Guerra, Sabrina Dennison
Fantastique, horreur, 2h03, 1989