[CRITIQUE] La Plus précieuse des marchandises

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Il était une fois dans une forêt une bûcheronne et un bûcheron pauvres et sans enfant. Chaque jour, la pauvre bûcheronne allait prier le train de marchandise qui passait. Un jour, comme par miracle, le train lui délivra la marchandise qu’elle souhaitait le plus au monde : un enfant.

Récit poignant sous forme de conte, La Plus précieuse des marchandises est l’adaptation éponyme du livre de Jean-Claude Grumberg (2019). Michel Hazanavicius ne voulait pas faire de films autour de la Shoah, pourtant le format proposé par l’auteur l’a convaincu. Présenté au Festival de Cannes et au Festival d’Annecy – où je l’ai découvert -, le film est une histoire essentielle où dans les plus sombres heures de l’histoire humaine se cache encore la lumière. 

Il était une fois, dans une grande forêt, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons… ” La voix-off commence ainsi. C’est le regretté Jean-Louis Trintignant qui prête sa voix à l’histoire. Une voix pleine d’humanité, de tendresse, une voix parfaite pour raconter le souvenir de ce petit bébé jeté d’un train roulant en direction d’un camp de concentration pour être sauvé par son père d’une mort qu’il imagine certaine. Pour nous accompagner tout au long du parcours, cette voix est essentielle car elle nous rappelle qu’à travers ce conte aux allures simples il y a la mémoire d’une tragédie humaine. Au contact de cette précieuse marchandise, les gens évoluent, s’ouvrent et montrent leur humanité. Les Sans-cœur, allégorie des victimes d’injustices (raciales ou sociales en fonction des époques), auraient finalement peut-être un cœur. À travers une métaphore poétique, on nous parle de la différence, des mythes qu’on nous raconte autour d’un Autre démoniaque qu’on pourrait marquer, parquer et tuer. 

Michel Hazanavicius, plus connu pour ses comédies (Oss 117, Coupez !), propose ici un film d’animation émouvant. Il a lui-même réalisé les dessins avec une équipe d’animateurs et d’animatrices. Il propose un trait épais pour les personnages, des couleurs un peu désaturées et un univers qui s’inspire du travail d’Henri Rivière, illustrateur français, figure majeure du japonisme. Le dessin renforce l’aspect conte du récit et permet d’adoucir la dureté de l’histoire. Il trouve le ton juste pour représenter l’horreur des camps à travers la figure du père qui sauve son enfant en le sacrifiant. Le trait devient plus tordu, plus dur, plus trouble aussi dans les moments d’horreur. Impossible de ne pas penser au travail d’Edvard Munch qui a su représenter la folie des êtres humains.
Dans La Plus précieuse des marchandises, le réalisateur réussit à parler de la souffrance et de la déportation, mais aussi et surtout de la joie et du bonheur. Découvrir avec tendresse l’évolution d’un homme, pauvre bûcheron, face à cette enfant si innocente. Les personnages qui traversent les aventures du bébé ont tous et toutes été de loin ou de près des victimes de la folie humaine. Le film n’a pas pour but de parler d’Histoire – il faudra aller dans les livres pour connaître les noms, les numéros de train, les survivants et les morts-, il veut nous raconter la petite histoire qui se cache derrière. 

Bouleversant, tendre, dur, La Plus précieuse des marchandises touche le cœur sans oublier de faire réfléchir. Impossible de rester indifférent-e devant ces dessins. À la fin du film, impossible également de ne pas faire le parallèle avec la montée de l’extrême droite et des discours négationnistes qui polluent de plus en plus. Une mise en garde nécessaire.

Marine Moutot

La Plus précieuse des marchandises
Réalisé par Michel Hazanavicius
Conte, France, 1h21
20 novembre 2024
StudioCanal

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