[CINÉMA] Oxana

image tirée du film Oxana

Temps de lecture : 5 minutes

Ukraine, 2008. Oxana ne se sent pas à sa place dans cette société qui oppresse les femmes. Avec un groupe d’amies, elle commence des actions féministes. Peu à peu, le groupe prend de l’ampleur et devient le mouvement FEMEN. Pour son deuxième film, la réalisatrice française, Charlène Favier dresse le portrait d’une femme prête à tout pour libérer les siennes, quitte à traverser les frontières et risquer sa propre vie.

Pourquoi voir le film ?

Un portrait de femme engagée

Dès son premier film, Slalom, la réalisatrice mettait en scène une jeune femme forte, indépendante qui se trouvait confrontée à la toxicité du patriarcat. Ici, Oxana est une femme sincère qui cherche à faire bouger les lignes autour d’elle. Artiste libre, elle refuse de ne pas avoir le choix de sa propre existence. Entre 2008 et 2018, le film retrace non seulement une vie de lutte, mais aussi une vie brisée. Le scénario met en parallèle deux époques de la vie d’Oxana : le début de la lutte et la fin. 
Effacée du mouvement, à son arrivée en France, Oxana est une jeune femme qui vit pour et par la lutte. Elle ne peut se résigner à une autre vie, loin des combats qu’elle a menés en Ukraine, Biélorussie ou encore en Russie. Le film parvient avec justesse à retranscrire cette déchirure, cette plainte des FEMEN qui ne cherchent qu’à se réapproprier leurs corps et leurs vies dans une société qui les en empêche. 
La cinéaste témoigne en ces mots de ses personnages féminins : “Je crois que mes films seront toujours hantés par des personnages de femmes ambivalentes en proie à l’adversité du monde. Mes héroïnes sont des combattantes, des survivantes. Fragiles et fortes à la fois, leurs parcours mènent toujours vers la résilience. “

Une mise en scène inventive 

La réalisatrice s’entoure une nouvelle fois d’une équipe talentueuse pour construire l’image et la mise en scène de son film. Déjà dans Slalom, elle utilisait des couleurs fortes et tranchées (le rouge et le bleu) pour montrer l’emprise et le mal-être. Ici, elle prend le parti d’exprimer les émotions d’Oxana aussi à travers le choix des couleurs : dans les moments entre 2008 et 2012, où l’héroïne lutte activement pour changer le monde, les teintes oscillent entre des tons chauds orangés – les moments de partages avec les femmes, les actions coup de poing – et froids bleutés – la prison, la confrontation avec la violence des policiers. Dans les séquences qui se déroulent en 2018, le ton est plus dur, plus froid. Comme s’il n’y avait plus d’espoir.

Une histoire d’importance 

Que connaissons-nous finalement de l’histoire des FEMEN ? D’où viennent-elles ? Pourquoi manifestent-elles les seins nus ? Quels sont les messages qu’elles veulent faire passer ? Il est essentiel qu’un film revienne sur les origines d’un des mouvements féministes les plus importants de ces dernières années. Oxana réussit à montrer à travers le portrait d’Oksana Chatchko, les différences entre toutes ces femmes, leurs parcours, leurs désirs et surtout leurs trajectoires. Unique, ce mouvement a réussi à faire bouger les choses dans le monde et dans l’activisme des féministes.

Un point d’histoire : Les FEMEN

Qui sont les FEMEN que montre le film ? Comme tout film de fiction, Oxana n’a pas pour but de raconter la vérité, rien que la vérité. En ouverture, d’ailleurs, une phrase rappelle que la réalisatrice et ses scénaristes (Diane Brasseur et Antoine Lacomblez) se sont permis-es des libertés. 

En France, nous connaissons les FEMEN pour leurs happenings seins nus qui montrent leurs contestations. Cela peut paraître anecdotique, mais le mouvement est né en Ukraine, en 2008. À l’époque, la société ukrainienne, très croyante, ne laissait que peu de choix aux femmes dans la société : mariée ou prostituée. Elles appartenaient aux hommes donc, seulement aux hommes. En manifestant seins nus, pour des causes féministes, elles se réapproprient leur corps. Mais aussi, et peut-être surtout, elles attirent l’œil des journalistes. Les slogans se dessinent alors sur les corps nus. La couronne de fleurs est une idée d’Oksana Chatchko. Elle s’inspire de la tradition ukrainienne, la couronne florale était portée par les filles et les jeunes femmes célibataires. Elle fait partie de la tenue traditionnelle des évènements festifs.

Des Femen dont Inna Chevtchenko (4e d) manifestent place de la République, le 25 novembre 2017 à Paris
afp.com/FRANCOIS GUILLOT – L’Express

Après des manifestations diverses et variées (sans forcément de liens directs avec le féminisme), leur première vraie lutte est la prostitution. Les femmes en Ukraine ne gagnent que 200 à 300 euros par mois en 2008 et ne savent pas comment lutter face à ce marché qui les met en danger, mais leur permet de subvenir à leur besoin. Il n’y avait donc que deux solutions : le mariage ou la prostitution, deux faces d’une même pièce dans une société patriarcale qui ne respecte pas le droit et le corps des femmes. Au début, les FEMEN se construisent comme un groupe proche des idées communistes. Il n’y a pas de cheffes de file, mais un groupe de femmes soudées qui vont mener ensemble leurs actions. Très vite, elles dérangent. Elles font bouger les liens. Le mouvement attire l’attention à l’international et elles commencent des actions en Biélorussie et en Russie. Une des premières participantes des FEMEN : Inna Shevchenko se retrouve persécutée et part alors en France en 2012. Là, elle trouve de l’aide auprès de Caroline Fourest qui réalise un documentaire sur les FEMEN, Nos Seins Nos Armes. Le moment où Inna Shevchenko assoit son pouvoir sur les FEMEN est lors des manifestations pour le Mariage pour tous en décembre 2012, où même Oxana fait le déplacement jusqu’à Paris. 

À leur arrivée en 2013, les trois fondatrices Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Oleksandra Chevtchenko, ne sont pas forcément bien accueillies et ne s’intègrent pas au nouveau mouvement. Chacune aura un destin différent loin du mouvement. Depuis 2020, Inna est rédactrice pour Charlie Hebdo tout en continuant à développer les activités des FEMEN à l’étranger. 

La cofondatrice du mouvement et ex-activiste Femen Oksana Chatchko, lors d’une manifestation à Paris, le 18 septembre 2012 (Photo Kenzo TRIBOUILLARD. AFP) – Libération

Aujourd’hui, les FEMEN sont encore bien actives et défendent avec leurs corps la liberté des femmes contre le patriarcat et les dictatures. Elles utilisent ce qu’elles appellent le sextrémisme, conjugaison entre radicalité politique et sexualité, pour lutter.

Pour aller plus loin, je vous conseille 

Une émission Radio France autour du livre Femen : Histoire d’une trahison d’Olivier Goujon, sorti quelques mois avant la mort d’Oksana Chatchko  
Affaire sensible autour de la création des FEMEN 
Documentaire de Caroline Fourest et Nadia El Fani, Nos Seins Nos Armes, 2012 
Plus d’informations sur le site officiel des FEMEM
Un article publié au moment de la mort d’Oksana Chatchko

Marine Moutot

Oxana
Réalisé par Charlène Favier
Avec Albina Korzh, Maryna Koshkina, Lada Korovai
Drame, biographie, France, 1h43
16 avril 2025
Diaphana Distribution

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