[CINÉMA] Duel au soleil

image tiré du film Duel au Soleil

Temps de lecture : 5 minutes

Sorti en 1946, ce western au féminin montre la lutte d’une femme pour garder sa dignité. Présenté au Festival de Cannes 2025, à Cannes Plage, le film a été restauré par Walt Disney Studios en association avec la Film Foundation, avec la participation du George Eastman Museum et du Museum of Modern Art. 

Nous suivons la jeune Pearl Chavez, incarnée par Jennifer Jones, qui se retrouve envoyée chez une lointaine amie de sa famille dans son ranch au Texas. Face à elle, deux frères s’opposent : Jesse, droit et juste dont tombe amoureuse Pearl et Lewt, pervers et sans scrupule. Un soir, Lewt viole Pearl au moment où Jesse est rejeté par son père et part. Elle reste seule avec son bourreau dont elle devient dépendante. Incapable de l’aimer, mais incapable de se passer de lui, elle tente de s’en sortir en épousant un autre homme que Lewt tue.

Pourquoi voir le film ?

Au-delà de la domination masculine, le destin tragique de femmes

Jennifer Jones traverse le film avec tristesse et effronterie. Elle y incarne Pearl Chavez dont les origines indiennes font d’elle une déclassée. Sa mère, avant elle, trompe ouvertement son mari et danse, expose son corps sensuel à la vue de tous. Le père de Pearl n’en pouvant plus, l’assassine et finit en prison. Avant de mourir, il fait promettre à Pearl d’être une brave fille, pure et qui ne cherche pas à séduire les hommes. Voulant tenir parole, Pearl est habitée en permanence par un dilemme et est empêchée de vivre pleinement sa vie, d’être qui elle voudrait dans une société patriarcale où ce sont les femmes qui payent pour les hommes. Pour faire face aux personnages féminins — au côté de Pearl, Laura Belle interprétée par Lillian Gish est une femme indépendante, mais soumise aux impulsions de son mari —, le film expose des masculinités sombres. Le Sénateur, mari de Laura Belle, est handicapé, mais n’hésite pas à violenter sa femme. Il renie Jesse (Joseph Cotten) qui représente une masculinité plus civile, plus juste alors qu’il adule Lewt (Gregory Peck), violent et machiste. Entre les deux frères, l’un représente la modernité et l’autre le vieux monde modulé par le patriarcat.
Le film montre comment les femmes sont victimes de ce système. La mère de Pearl est tuée parce qu’elle était trop libre et disposait de son corps comme elle l’entendait. Pearl est, quant à elle, enfermée dans un diktat et n’arrive pas à vivre sa vie librement. Tout comme Laura Belle, une femme forte et effrontée, qui ne peut, malgré tout, pas se soustraire à la violence de son mari. Duel au soleil tente de redonner les armes aux femmes, mais elles devront vivre le pire avant de se libérer totalement et complètement de l’emprise des hommes.  

Une mise en scène au service de l’héroïne

Dans une séquence d’anthologie, où Pearl tue son violeur et amant, ce western mélodramatique atteint la perfection. Dans ce duel, le soleil qui assèche la terre, les rochers et la pente que Pearl doit gravir tout en tirant sur Lewt embusqué, rendent l’avancée difficile, douloureuse. Cette fin montre le duel intérieur, la contradiction qui habite Pearl : elle doit tuer cet homme qui la rabaisse sans cesse pour être libre, mais n’arrive pas à s’en libérer entièrement. Film sur l’emprise, Duel au soleil montre le personnage de Pearl tout en nuance — même si à l’époque, on ne reconnaît pas les souffrances d’une victime de viol et surtout on ne les explicite pas, préférant offrir une histoire «?d’amour?» entre deux êtres blessés par le monde qui les entourent. Comme l’écrit Noël Burch dans De la beauté des latrines, Pour réhabiliter le sens au cinéma d’ailleurs (2007) à la page 228 : «?Les deux films que Vidor tournera en 1946 et 1952 avec Jennifer Jones, Duel au Soleil et La Furie du désir […] offrent une trame identique qui articule l’état de la guerre des sexes, à l’écran et dans la vie de l’après-guerre aux États-Unis. Soit une femme “androgyne”, passionnément sensuelle, mais revendiquant les mêmes droits que les hommes, dans la vie comme dans l’amour, […]?».
Cette fin, par ailleurs, est une trouvaille du producteur David O. Selznick, qui veut tromper la censure du code Hays, mais cela ne fonctionne pas et le film est violemment réprimandé. Il montre en effet des relations hors mariage et filme un viol. Il serait impossible, aujourd’hui, de qualifier la relation entre Pearl et Lewt d’un amour quel qu’il soit. Le film montre bien la violence inhérente à cette histoire basée sur la domination : Lewt est violent et valorisé par son Père pour cela. Il n’aime pas, il veut posséder et dominer. Pourtant quand on regarde la promotion du film de l’époque, on nous montre une Pearl sensuelle et désirable, qui cherche à provoquer le désir chez l’autre, ce qui pourrait faire oublier que Pearl est avant tout une victime de la violence masculine qui recherche à fuir.

Pour aller plus loin, je vous conseille 

La lecture du livre De la beauté des latrines, Pour réhabiliter le sens au cinéma d’ailleurs de Noël Burch (2007)

Marine Moutot

Duel au soleil
Réalisé par King Vidor
Avec Jennifer Jones, Gregory Peck, Joseph Cotten
Western, États-Unis, 2h16, 1946
Les Acacias
Disponible en DVD et Bluray

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