Le Festival international du film d’animation se tient du 8 au 14 juin dans la belle ville savoyarde d’Annecy. Pendant cette semaine festive, les festivaliers et festivalières courent de salle en salle, font la queue et rêvent d’animation ! Le soleil réchauffe les corps qui se plongent plusieurs fois par jour dans les salles obscures. Plusieurs compétitions se succèdent : Contrechamps – pour les long-métrages les plus étranges – et l’Officielle dont un film reçoit chaque année le Cristal d’argent. Les court-métrages ne sont pas en reste non plus avec plusieurs programmes et une remise de prix en fin de festival.
La ville s’anime et vibre au rythme du festival aussi par le biais d’expositions gratuites et accessibles à tous et toutes. Cette année, la série Arcane est mise à l’honneur avec une exposition-événement, mais aussi “Hunimation Hits the Streets”, “Le Secret des mésanges : les décors et pantins originaux du film”, “Le Journal de Samuel” et plein d’autres. Des séances en plein air permettent également de profiter de succès des éditions précédentes comme le très beau et sage Les 4 âmes du Coyote, Le Garçon et la bête ou encore Flow !
Tous les jours, retrouvez nos aventures et découvertes.
Contrechamp 11 : Nimuendajú, de Tania Cristina Anaya
Le film raconte l’histoire de Curt Unckel, un chercheur en sciences sociales qui a vécu avec des peuples indigènes pendant 40 ans. Curt a été baptisé en 1906 par les Guaranis sous le nom de Nimuendajú et a consacré sa vie à étudier et comprendre différentes cultures. Il a été témoin de la persécution et de l’expulsion des peuples indigènes de leurs terres.

Le film cherche à questionner la place des hommes blancs face au massacre des peuples autochtones. En suivant la vie de Curt Unckel qui a cherché à comprendre et à protéger les indigènes, la réalisatrice brésilienne montre que lui aussi s’est trompé de combat. L’histoire montre comment cette “civilisation occidentale” qui se pense supérieur du reste du monde à manquer l’essentiel et est passée à côté de la vie de ces peuples. Même Curt Unckel en pensant qu’ils allaient disparaître avec l’arrivée de la modernité, de l’alcool et de l’exploitation des ressources et qui a voulu tout documenter.
La mise en scène des paysages rend la nature plus belle et sa destruction plus dure, sans que cela ne fonctionne entièrement pour les personnages. Les parties de transition en noir et blanc, avec le fond rouge sang évoque les massacres perpétrés en tout impunité.
La cinéaste rend hommage aux peuples qui ont toujours su être résilients pour survivre à la fois dans la Nature et face aux hommes blancs. Il est donc dommage qu’elle reste tant attachée à la figure de l’ethnologue et reste au plus proche de sa vie et de ses recherches – rendant le film très linéaire – et ne mettent pas plus de séquences comme les photos d’archives qui viennent parfois entrecoupées le récit.
Contrechamp 8 : Jinsei, de Ryuya Suzuki
De la naissance à la mort, chaque personne vit avec une variété de surnoms, parfois désobligeants. L’histoire dépeint la vie à la fois belle et triste du protagoniste qui, sans le vouloir, se hisse au sommet, avec en toile de fond les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, tels que les conducteurs âgés, le revers de l’industrie du divertissement, les morts inconnues de jeunes gens et la guerre.

Jinsei propose un récit très figé et lent qui nous fait traverser, de long en large, la vie du protagoniste, traumatisée par la mort soudaine de sa mère dans un tragique accident dont il fût le malheureux témoin. Il nous fait entrer, de 2000 à 2095, dans les différentes vies de cet être différent, toujours un peu à côté des choses, subissant harcèlement scolaire, passage à tabac et séjour dans la rue, changeant de costume comme de vie, de l’élève muet à l’icône de j-pop, de membre de la jetset à survivant de l’Apocalypse. Un récit qui semble, au premier abord, plein de rebondissements, d’originalité et de rythme, mais qui pâtit de la surenchère de propositions, de la multiplicité des personnages et de la lenteur de son déroulé.
Contrechamp 8 : Endless Cookie, de Seth Scriver et Pete Scriver
Un portrait de famille qui fait appel à l’imagination, à l’humour et à la narration pour explorer l’éducation contrastée de deux demi-frères, l’un blanc et l’autre autochtone, réunis par un groupe de personnages pleins d’entrain.

Endless Cookie est une proposition originale et inventive, tout droit débarquée du Canada. Sous la forme d’un documentaire animé mettant en scène sa propre création, nous embarquons dans la relation de deux demi-frères qui questionnent la société contemporaine canadienne et la place des populations autochtones aujourd’hui – un sujet central qui nécessite une véritable visibilité. Avec eux, nous suivons le quotidien de la communauté de Shamattawa, dans le nord du Manitoba, à l’échelle de la cellule familiale (qui regroupe un bon nombre de frères, soeurs, cousins et grands-mères), entre anecdotes de chasse et réflexion sur le passé citadin des deux frères, avec pour fil conducteur un récit constamment interrompu par l’un ou l’autre des protagonistes et la construction d’un tipi. Malgré son enthousiasme et son animation colorée volontairement brouillonne mais remplie de détails curieux et fascinants, Endless Cookie lasse finalement rapidement et les passionnants récits se noient dans ses allers-retours entre les différentes histoires et son humour un peu trop potache.
L’Officielle 7 : Allah n’est pas obligé, de Zaven Najjar
Birahima, un orphelin guinéen d’une dizaine d’années, raconte avec l’aide de quatre dictionnaires et beaucoup d’ironie comment il est précipité dans la guerre tribale quand il tente de rejoindre sa tante au Libéria : Yacouba, un grigriman et féticheur crapuleux qui l’accompagne, le convainc de devenir enfant soldat. En plein chaos, Birahima grandit trop vite et apprend à se méfier des histoires qu’on lui raconte.

Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Zaven Najjar propose un film coloré et rythmé en adaptant le roman d’Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé. Avec beaucoup d’humour, malgré le sujet dur de la vie d’un enfant-soldat, le cinéaste parvient à nous montrer la dureté de cette vie sans pathos. L’énergie, la naïveté et la sensibilité du personnage principal, le jeune Birahima, donne également un autre aspect au récit. Comment peut-on être un enfant et perpétrer des meurtres et des viols ? Comment vivre dans un pays en guerre permanente ? Il n’est à aucun moment question de choix, juste de survie. C’est un jeune rappeur ivoirien, SK07, 12 ans au moment du tournage, qui donne à Birahima son franc parler et son ton direct et audacieux.
Le récit pose également la question de “comment en sommes-nous arrivés là ?”. Collectivement, nous, derrière l’écran, mais aussi les personnages qui défilent sous nos yeux. Il faut décortiquer les mécanismes de la guerre et du pouvoir. L’idée pour ne pas perdre le public dans une myriade de noms compliqués, l’usage de dictionnaires pour reprendre des définitions, des termes et expliquer rapidement mais efficacement la situation dans un pays et pourquoi les enfants soldats existent. Tout va très vite, les événements s’enchaînent, les groupes armés, les divisions, les leaders, tout semble si compliqué, si confus. Mais l’intérêt reste le même pour tous : avoir du pouvoir. Beaucoup de pouvoir. Et quoi de mieux que d’enrôler des enfants qui croient tout ce qu’on leur dit. Le film joue là dessus et les couleurs si vives et chatoyantes deviennent plus sombres, comme la désillusion qu’expérimente Birahima. Même si le récit nous parle de beaucoup de choses, il le fait avec intensité et c’est effrayant.
Manon Koken et Marine Moutot