[CRITIQUE] The Whaler Boy

Temps de lecture :  3 minutes

Leshka, adolescent habitant avec son grand-père dans l’Extrême-Orient russe, est chasseur de baleines. Un jour, il fait la connaissance de Hollysweet_999 sur un chat érotique et tombe amoureux. Il va tout faire pour aller en Amérique.

Présenté en compétition officielle aux Arcs Film Festival, qui met chaque année à l’honneur des films européens de qualité, The Whaler Boy est le premier long-métrage du russe Philipp Yuryev. Fable sur l’apprentissage de l’amour et de la sexualité, elle prend place au détroit de Béring qui sépare la Russie de l’Alaska. Il fait 86 km. C’est la distance que doit franchir le jeune Leshka pour retrouver la femme de sa vie à Détroit. La solitude de Leshka est la même que celle des autres hommes qui vivent dans ce petit village isolé. Ils voient en l’arrivée d’internet un moyen de s’évader quelques instants sur des sites pornographiques. S’ils ne peuvent pas goûter à la chaleur d’une femme, ils peuvent au moins la fantasmer. Mais pour Leshka le fantasme va plus loin et devient bientôt un désir féroce pour aller rencontrer une des stripteaseuses qu’il regarde et avec qui il tente innocemment d’entrer en contact. 

The Whaler Boy surprend dès ses premières images en 4/3 qui montrent les États-Unis : une musique country et des enseignes lumineuses. Images pleines d’illusion, nous suivons dans les couloirs d’un lieu de prostitution une jeune femme blonde, ultra maquillée et en petite tenue. Elle s’installe sur un lit à baldaquin en face d’un ordinateur et se met à faire des poses sensuelles. Nous traversons alors l’écran pour nous retrouver dans une cabane avec des hommes aux visages ridés et fatigués. Même si le plan pourrait paraître sinistre, il est attendrissant. Tandis que les hommes quittent un à un la pièce, deux garçons restent, plus intrigués par cette découverte que les autres. Cette femme-objet que des millions d’hommes regardent à travers le monde ne prononcera jamais aucun mot, la relation qu’entame Leshka avec elle est purement platonique. Pourtant, le cinéaste réussit à la rendre touchante et nous sommes ému.e.s par cet adolescent de 15 ans qui lui parle comme si elle pouvait l’entendre. Il tisse un lien avec l’étranger et se met à fantasmer d’un ailleurs. L’Alaska, si proche et pourtant si loin, est un lieu qui semble inaccessible. Tout le monde en parle sans y aller. Le seul qui a osé a été rejeté par la mer. Quand enfin Leshka doit partir — il pense avoir tué son ami après avoir cru qu’il était en show privé avec Hollysweet_999 —, son voyage initiatique paraît irréel. Il tombe sur une île majestueuse où des contrebandiers lui montrent les deux continents : «?de ce côté l’Amérique, c’est le passé, de ce côté la Russie, c’est l’avenir?». Tel un mage lui indiquant la voie à suivre. Puis, il croise sur un Américain — l’excellent, mais trop rare Arieh Worthalter — qui accepte de l’aider à traverser jusqu’à l’Alaska. Il y découvre un pays vide, semblable à la toundra près de son village, mais hostile : l’eau est polluée, les aliments non comestibles. Il arrive alors dans un champ de squelettes. Ces os sortis de terre rappellent le film d’Andrey Zvyagintsev, Leviathan (2014) où la corruption et l’avilissement de la population sont orchestrés par un petit groupe riche et puissant. La réalité ne rejoint pas le fantasme.

Philipp Yuryev possède un réel sens esthétique du cadrage qui font penser aux prouesses d’Adilkhan Yerzhanov (La Tendre indifférence du monde, 2018 ; A Dark-dark Man, 2019). Il nappe ses personnages dans une ambiance presque féérique par moment. Si nous suivons Leshka, le cinéaste n’hésite pas à faire des pauses pour montrer la vie des autres habitants dans leur cabane. Il capte une manière de vivre qui semble arrêter dans le temps. De plus, il magnifie les paysages de la mer et de ce petit village. Il regarde ce monde-là sans jugement et même avec tendresse. Cette vie dure et isolée dont le seul lien est un ordinateur qui permet de fantasmer une autre vie. L’apprentissage que fait Leshka est celui de millions d’adolescents dans le monde. C’est pour cela que The Whaler Boy est si émouvant et nous touche droit au cœur, c’est parce qu’il est universel.

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Marine Moutot

  • The Whaler Boy
  • Réalisé par Philipp Yuryev
  • Avec Vladimir Onokhov, Vladimir Lyubimtsev, Kristina Asmus
  • Drame, Russie, Pologne, Belgique, 1h35
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