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Dans les années 80, une famille américaine d’origine coréenne achète un terrain en Arkansas. Anciennement sexeurs de poussins en Californie, c’est une autre vie qui s’offre à ce couple et à leurs deux enfants.
Sous l’influence du coup de gueule #OscarsSoWhite qui avait ébranlé Hollywood en 2015, les nominations aux Oscars de ces dernières années donnent une lueur d’espoir sur la considération d’un cinéma plus hétérogène. Un brin autobiographique, le réalisateur d’origine coréenne Lee Isaac Chung, a lui-même grandi dans une ferme en Arkansas au sein du famille qui avait quitté son pays d’origine. Minari met ainsi en lumière la génération d’immigrés coréens née lors du conflit de 1950. En lice pour six statuettes lors de la cérémonie de 2021, le film oscille entre récompenses principales (Meilleur réalisateur, Meilleur film et Meilleur scénario original), jeux d’acteurs (Meilleur acteur et Meilleure actrice dans un second rôle) et techniques (Meilleure musique de film).
Tendresse et finesse se dégagent de cette œuvre intime à la photographie sublime. Minari retrace les débuts de Jacob dans son nouveau métier d’agriculteur. Sa femme Monica et leurs enfants David et Anne l’ont suivi à l’aveugle. Bientôt ils seront rejoint par la grand-mère maternelle Soonja, femme singulière qui ne mâche pas ses mots. Le père porte sur ses épaules toute la responsabilité de subvenir aux besoins de sa famille en gérant seul leurs économies. Parfois convaincu, mais souvent dans le doute, on perçoit à travers une interprétation tout en retenue les questionnements qui traversent le personnage de Jacob. Les non-dits de ce nouveau départ entrepreneurial gangrènent la relation du jeune couple, dont l’expression des sentiments est brimée par une pudeur symptomatique de leur éducation coréenne. Si Steven Yeun, interprétant Jacob, endosse honorablement son personnage, l’actrice jouant Monica, Ye-Ri Han, surpasse son partenaire dans le rôle de cette femme subissant les décisions de son mari et tiraillée entre ses habitudes et les codes de son pays d’accueil dont elle ne maîtrise pas encore tout à fait la langue.
Sur fond de de tradition, la relation entre la grand-mère et le petit-fils témoigne du choc des générations. D’abord hostile à cette invasion du troisième âge, le petit David va peu à peu accepter cette dame qu’il a du mal à identifier comme « grand-mère ». Soonja jure, ne sait pas cuisiner et ne témoigne aucune affection maternelle particulière. Son apparition à l’écran donne un nouveau souffle au film. En marge des comportements de cette famille qui tente de se fondre dans la masse de sa nouvelle communauté locale, Soonja est l’archétype de l’anti-héroïne. L’unification avec son petit-fils va se sceller à travers un élément subtil. C’est ensemble qu’ils vont planter du minari (céleri en coréen) près d’un cours d’eau non loin de leur exploitation. Aperçu une seconde fois dans le film, le céleri est la métaphore de l’héritage coréen qui ne doit pas se perdre dans cette nouvelle vie américaine.
Par cet hommage sensible, Chung tend vers un cinéma social et cherche sa part du rêve américain. Mais à trop vouloir dépeindre les obstacles de cette famille vacillante et en danger financièrement, le film sombre dans une surenchère dramatique qui paradoxalement nous laisse indifférent. Œuvre manichéenne où le seul adversaire semble être le destin, chaque tension installée est balayée par une nouvelle idée plus pathétique – souvent attendue – et plonge ses spectateurs dans une lassitude. La linéarité de la narration endort, et seuls les éclats d’interprétation de la grand-mère nous sortent par intermittence de notre torpeur. Avec ses six nominations, on se demande si toute cette attention ne serait pas seulement une histoire de quota dans la quête ultime de diversité.
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Clémence Letort-Lipszyc
Minari
Réalisé par Lee Isaac Chung
Avec Steven Yeun, Ye-Ri Han, Alan S. Kim, Yuh-Jung Youn
Drame, Corée, États-Unis, 1h55
A24
9 juin 2021