[DÉFI] Un bon film dans lequel quelqu’un s’enfuit en courant et chute

Une femme s’évanouit de manière théâtrale, un objet roule doucement au sol en gros plan, des inconnus fomentent un plan machiavélique juste à côté des concernés… Le cinéma est rempli de motifs, parfois récurrents, qui intriguent et s’impriment dans nos esprits. Le deuxième mardi de chaque mois, nous vous proposons le défi “Un bon film avec…” : chaque rédactrice dénichera un film en lien avec un thème (plus ou moins) absurde mais qui vient naturellement à l’esprit. Pourquoi ces images s’imposent-elles ? Quel sens recouvrent-t-elles dans notre imaginaire ? Et dans l’œuvre ? Les retrouve-t-on dans un genre précis ? Comment deviennent-elles des clichés ?


/! Cet article peut contenir des spoilers. /!

Temps de lecture : 7  minutes

Nous avons tou·te·s la scène en tête. Le suspense est à son comble, un personnage apeuré – et avec lui les spectateur·trice·s – tente d’échapper à son poursuivant et, soudain, chute. Ce moment est crucial et permet au scénario de se dérouler : sans lui, la course-poursuite pourrait bien durer éternellement, comme dans Les Fiancées en folie de Buster Keaton, dans lequel le personnage principal, poursuivi, ne trouve de répit que quand ses poursuivantes sont à leur tour pourchassées

Dans les films d’horreur, surtout lorsque la victime est anonyme ou qu’il s’agit d’un personnage secondaire, la chute signifie la mort. Son sacrifice permet d’exposer le danger et d’exacerber la tension. Dans Ténèbres de Dario Argento, une jeune femme est poursuivie par un chien. Elle parvient à se réfugier dans un jardin mais l’animal la rattrape et lui saisit la jambe. La chute qui survient alors pousse le personnage à s’enfoncer davantage dans la propriété qu’elle ignore être celle d’un tueur en série et provoque ainsi, indirectement, sa mort. 

Lorsque c’est le personnage principal qui est poursuivi, la chute gagne en tension dramatique et augmente l’empathie pour le héros ou l’héroïne. Dans La Belle et la Bête de Gary Trousdale et Kirk Wise, alors qu’elle fuit le château de la Bête, l’héroïne est poursuivie par une meute de loups. Son cheval, apeuré, se cabre et la fait chuter. Cet évènement permet à la Bête d’intervenir : non seulement il rattrape Belle, mais il se retrouve dans la position de sauveur. Cette scène marque un tournant dans leur relation, qui, à partir de ce moment, s’adoucit. Dans d’autres films, la chute, en stoppant la fuite, entraîne les personnages vers leur destin. Ainsi, dans le premier épisode de Squid Game, le personnage principal, endetté, fuit ses créanciers et bouscule une jeune femme. Les deux personnages tombent. Le héros ignore alors qu’il a affaire à une pickpocket, qui vient de lui voler l’argent gagné au tiercé qui est sa seule porte de sortie. Ce dernier coup du sort l’entraîne dans le jeu sanglant qui donne son nom à la série. 

À travers Outrage d’Ida Lupino et Le Roi Lion de Roger Allers et Rob Minkoff, retour sur ce motif ancré dans nos inconscients, mais qui fut beaucoup plus difficile à retrouver qu’il n’y paraissait.

Et surtout n’oubliez pas de voter à la fin de l’article.

Outrage, Ida Lupino, 1950

Dans une petite ville américaine, Ann Walton, une jeune comptable, doit épouser Jim Owens. Elle est alors victime d’un viol et sa vie tourne au cauchemar. Ne supportant plus la sollicitude des uns ou la curiosité des autres, elle décide de changer radicalement de vie…

Ce n’est pas la première fois que l’on évoque ce film audacieux de la réalisatrice Ida Lupino. Mais lorsqu’on parle de fuite on ne peut s’empêcher de penser à celle d’Ann Walton, tentant désespérément d’échapper aux griffes de son violeur. 

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Tout commence en fin de journée, tandis que la jeune femme quitte en sifflotant son lieu de travail. Le plan large nous montre Ann Walton descendant les escaliers d’un pas guilleret, sans doute bercée par l’idée de son futur mariage. Au premier plan s’agite une masse noire, l’homme qui observe sa future proie. D’abord discrètement, il se met à la suivre à travers un dédale de bois et de machines, entre des conteneurs et des camions. Les ombres sont de plus en plus marquées et de plus en plus menaçantes autour d’Ann qui perd soudainement sa jovialité lorsque l’homme lance un “hey !” bruyant pour l’interpeller. Prévenue de la présence de ce prédateur, la jeune femme accélère le pas alors qu’Ida Lupino ressert son plan pour nous permettre de saisir la peur, l’angoisse de ce corps pourchassé qui, pour la première fois, va apercevoir le visage de son futur violeur. 

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Une véritable traque démarre alors, sans pour autant que l’un ou l’autre ne se lance dans une course effrénée. L’homme marche tranquillement suivant la piste de sa proie alors qu’Ann se retrouve esseulée, à la recherche d’une cachette. Pour accentuer sa détresse, Lupino l’isole dans un plan immense et sombre où l’enferme derrière des barrières. Sans le savoir, l’héroïne est prise au piège. La cinéaste filme cette séquence comme une métaphore de la société des années 1950 : il n’y a aucune porte de sortie pour permettre à la femme d’échapper au contrôle des hommes. Le pas assuré et tranquille de l’agresseur accentue cet effet. 

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Plus les secondes passent et plus Ann sent que sa liberté lui échappe. Alors qu’elle pense avoir trouvé refuge dans un camion laissé seul pour la nuit, la panique s’empare d’elle et la pousse à commettre ses dernières fautes : une main qui vient appuyer sur un klaxon, indiquant sa présence mais surtout, une ultime chute dans des escaliers qui la laisse à la merci de celui qui la poursuit. 

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Tout comme Ann, le.a spectateur.trice comprend très bien ce que signifie cette chute. Il n’y a plus d’issue possible pour elle. D’ailleurs, la réalisatrice ne laisse pas planer le moindre doute et, immédiatement, l’homme rejoint Ann dans le plan, alors que le klaxon continue de sonner, semblable à une alarme indiquant l’horreur à venir. 

La vision d’Ann devient floue tant à cause de la chute qu’à cause des larmes qui emplissent ses yeux. Malgré tout, elle aperçoit – de près cette fois-ci – le visage de l’homme qui s’apprête à briser son destin. Plus particulièrement, son regard semble distinguer cette énorme cicatrice qui marque le cou de son futur assaillant. Un peu comme le “M” dans le dos de Peter Lorre dans M, Le Maudit (1931), cette marque devient la trace du mal. 

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La chute d’Ann dans ces escaliers est également métaphorique. Par l’acte qui s’apprête à être commis (mais que Lupino ne montrera pas pour éviter tout voyeurisme déplacé) l’homme va briser la vie de la jeune femme qui, traumatisé, ne se relèvera jamais vraiment de ce drame.  

Camille Dubois


Outrage
Réalisé par Ida Lupino
Avec Mala Powers, Tod Andrews, Robert Clarke
Drame, 1h15, Etats-Unis, 1950
RKO-Filmmakers

Le Roi Lion, Roger Allers et Rob Minkoff, 1994

Le lionceau Simba, futur roi de la savane, s’est exilé de son royaume après la mort de son père, Mufasa. Avec l’aide d’un étrange duo composé d’un suricate et d’un phacochère, il décide de reprendre ce qui lui revient de droit lorsqu’il apprend qu’il est destiné à être roi.

Pour montrer son courage et sa force, le jeune prince de la savane décide de braver les interdits de son père et rejoint le territoire de l’ombre, ce lieu dangereux dont on lui a imposé de ne jamais franchir la frontière. Jeunes et insouciants, Simba et Nala, une jeune lionçonne, jouent, se bagarrent et roulent jusqu’à la carcasse immense d’un éléphant. Poussés par une curiosité dangereuse, les deux lionceaux s’approchent et observent l’étendue morbide qui apparaît sous leurs yeux ; le cimetière des éléphants représente le côté obscur de la terre des lions. L’endroit est sombre, brumeux et les os sans chair des anciens pachydermes se dressent tels des couteaux. Néanmoins, cela ne semble pas terrifier les deux ami.e.s qui continuent leur route pour voir de plus près l’énorme carcasse qui leur barre la route.

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Plus excité.e.s qu’effrayé.e.s par cette découverte et celles à venir, l’intervention de Zazou – l’oiseau protecteur – ne changera rien à l’envie de découverte de Simba et Nala. Se pavanant de ne craindre aucun danger, le lion se fait pourtant rattraper par les hyènes dont les rires couvrent sans mal ses grognements. Les créatures malveillantes sortent du squelette géant et plus précisément des cavités autrefois remplies par des yeux et une langue, un peu comme des asticots s’extirpant d’un fruit pourri. La domination des trois hyènes est immédiate. Plus grandes, plus grosses que le trio des héros, elles sont également montrées en contre-plongée, ce qui accentue leur pouvoir.

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Ces terres sombres leur appartiennent et Nala, Simba et Zazu deviennent leurs proies. Une première fois, ces derniers tentent une fuite mais, sont rapidement stoppés par Shenzi. Il faudra attendre un moment d’inattention de la part des hyènes pour qu’enfin les lionceaux et l’oiseau ne puissent essayer de quitter ce lieu interdit. 

Poussé par une nouvelle dose de courage, Simba essaie de sauver Zazu mais se heurte aux hyènes qui se lancent finalement à la poursuite des lionceaux. Dès lors, Nala et Simba ne sont plus seulement des proies. Ils redeviennent des enfants apeurés devant le danger qui les guette. Maladroits, ils courent, changent de chemin et finalement chutent, dévalant la colonne vertébrale de la carcasse d’éléphant qui leur barrait la route.

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Ce toboggan improvisé les éjecte dans le ciel avant qu’ils ne retombent sur un amas d’os qui s’effritent sous leurs pattes. Nala glisse, appelle à l’aide et se joue alors une scène proche de celle qui se jouera plus tard entre Scar et Mufasa. Seulement, cette fois-ci, l’acte se finit par un sauvetage. Simba prouve à nouveau son courage en sauvant son amie et en assénant un coup de griffes à la hyène. 

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Seulement, il faudra encore attendre un peu pour que le futur roi puisse se sortir seul d’une situation si complexe. Car une nouvelle chute attend les deux amis. 

Ces chutes à répétition sont un moyen évident d’ajouter une tension au récit. Cependant on peut observer que cette tension arrive de manière graduelle. La première chute – presque burlesque – semble éloigner définitivement les lionceaux du danger. La deuxième (celle de Nala sur l’amoncellement dos) montre l’attaque d’une seule hyène repoussée par Simba. Quant à la dernière, elle marque la fin de la course poursuite et de toute échappatoire pour les deux ami.e.s. Prisonniers entre un mur et les trois terribles carnivores, rien ne semble plus pouvoir venir en aide à Nala et Simba… Si ce n’est le roi, Mufasa.

 

Camille Dubois


Le Roi Lion (The Lion King)
Réalisé par Roger Allers et Rob Minkoff
Animation, 1h28, Etats-Unis, 1994
Walt Disney Pictures

 

Retrouvez de nouvelles pépites le mardi 9 novembre 2021. Nous proposerons plusieurs bons films dans lesquels quelqu’un donne un coup de pied de rage

Vous aussi, mettez-nous au défi de dénicher des films en rapport avec votre thème, en votant pour le Défi #31 avant le 8 novembre 2021. Vous pouvez également proposer de nouveaux thèmes en commentaire ou sur les réseaux sociaux.

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