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Le Festival international du film d’animation d’Annecy s’est tenu il y a quelques semaines du 11 au 17 juin. Cette semaine a été riche en découvertes et en merveilles d’animations tant du côté de la télévision, de la réalité virtuelle ou que du cinéma.
Le Mexique a été mis à l’honneur. L’occasion de leur rendre hommage à travers de nombreuses sélections de films — essentiellement des courts-métrages —, la leçon de cinéma de Guillermo del Toro, dont le dernier film, Pinocchio, a reçu le prix du meilleur film d’animation aux Oscars. Mais aussi de proposer une affiche magnifique dessinée par l’artiste Jorge Gutierrez — réalisateur entre autres de La Légende de Manolo (2014).
Le festival d’Annecy c’est également une ambiance, un air de vacances dans les petites rues pavées ou le long du canal qui mène jusqu’au lac. Même sous la pluie, la ville ne perd pas de son charme. Ainsi entre deux séances, une baignade dans les eaux turquoise du lac perdu au milieu des montagnes offre un instant de détente.
Parmi les films découverts pendant les quelques jours en début de festival, aucune erreur, tous sont brillants. À travers sept longs-métrages — trop peu pour vraiment prendre le pouls de cet événement international —, nous avons pu apercevoir quelques thématiques qui habitent les artistes aujourd’hui : l’ouverture d’esprit, la tolérance, le partage, la mémoire et plus particulièrement la biodiversité.
Retour sur les films vus pendant ces trois jours à la fois intenses et tranquilles. Dans cette deuxième partie, nous nous attardons sur les films accessibles dès le plus jeune âge. Retrouvez les films pour un public plus adolescent et adulte, dans notre première partie. Bonne lecture !
Léo – Jim Capobianco, Pierre-Luc Granjon – dès 6 ans
Leonardo Di Vinci rêve de pouvoir expérimenter et travailler au grand projet de sa vie : trouver où réside l’âme humaine. Pourtant il doit se battre contre le temps et les gouvernements sous lesquels il officie.

Coup de cœur du festival d’Annecy 2023 où il était présenté en compétition Officielle, Léo est un bijou cinématographique d’animation. Humble, intelligent et drôle, ce film saura ravir les enfants et les adultes pour les émerveiller et les faire réfléchir.
En reprenant la figure légendaire de Leonardo Di Vinci, le film s’inspire d’éléments de sa vie pour créer un conte pour petits et grands. Époque lointaine (la Renaissance), de la vie du peintre, nous sont restées ses œuvres (La Joconde…) et ses travaux. Les relations avec les autres personnages du récit sont librement inspirées. Avec beaucoup d’humour, Léo expose comment les gens sont enfermés dans leur croyance. De son côté, Leonardo est dépeint comme un vieux monsieur plein d’esprit et curieux de tout, mais surtout qui veut découvrir l’origine de l’âme et la raison de notre existence. En face de lui, il y a l’ignorance et l’obscurantisme des hommes de son époque qui se croient grands et forts : le Pape, le Roi François 1er… L’histoire parle aussi de la place des femmes, toujours dans l’ombre d’un homme. Ainsi l’ingénieur trouve le soutien de ses associés et assistants, mais également de Marguerite de Navarre — femme de lettre et sœur du roi François 1er. Instruite et curieuse, elle croit en Leonardo et voit son ingéniosité ainsi que son ouverture d’esprit. Malheureusement elle est souvent rappelée à son rôle dans la société de la Renaissance — qui fut l’une des pires périodes en question de droits des femmes.
Pour réaliser ce magnifique film d’animation, deux cinéastes sont aux commandes. Sur toute la partie 2D et le scénario, c’est le réalisateur américain, Jim Capobianco — scénariste entre autres de Ratatouille, Le Bossu de Notre Dame et Le Roi Lion — qui s’y colle. Le français Pierre-Luc Granjon — réalisation de courts métrages pour Folimage — est sur la partie en stop motion. Les deux techniques se complètent et permettent une grande originalité dans le récit qui passe du monde réel à celui de la science. Avec fluidité, nous découvrons l’imaginaire de l’inventeur italien. Tomm Moore — réalisateur irlandais de Brendan et le Secret de Kells, Le Chant de la mer, Le Peuple Loup… — a également été consultant sur la partie en 2D. Son style très poétique se fait ressentir. Plus que tout, Léo montre et reflète les pensées de tolérance, de partage et de transmission prônées par les personnages tout au long du récit.
Le récit et l’animation ne pouvaient être qu’inventifs et drôles au vu des aventures que vit Leonardo. Les cinéastes jouent sur les ordres de grandeur comme pour la marionnette du Pape, très grande — dû à son pouvoir, mais surtout à son ego démesuré – comparée à celle de Médicis toute petite – il fut mécène de Leonardo DI Vinci. Ou encore l’idée des ombres pour représenter les espions à la solde du pape qui épient l’architecte. Tout cela toujours avec de l’humour et de l’autodérision : quand Léonard montre des machines de guerre qu’il peut créer et que les machines se retournent contre celui qui les utilise…
Leonardo Di Vinci fait fantasmer, mais la petite marionnette et son interprète (Stephen Fry, excellent dans la version anglaise) sont surtout des agents de la tolérance. Avec malice, il remet en question le monde autour de lui et nous invite à faire de même. Et surtout il rêve. Il n’oublie jamais de toujours désirer. Inventeur, architecte, peintre, sculpteur, urbaniste, philosophe, il fut avant tout un rêveur. Venez rêver avec lui dans cette fable joyeuse?!
Linda veut du poulet ! – Chiara Malta et Sébastien Laudenbach – dès 6 ans
Linda n’a plus de papa et ne s’en rappelle plus trop. Tout ce dont elle se souvient est le poulet aux poivrons qu’il préparait. Alors quand un jour, sa maman lui demande ce qu’elle désire plus que tout, elle répond : «?du poulet aux poivrons?»?! Le problème?? Grève générale dans tout le pays et impossible de trouver un poulet à cuisiner…

Présenté à l’ACID au festival de Cannes 2023, Linda veut du poulet est un road movie burlesque au grand coeur. Cristal du long métrage et Prix Fondation Gan à la Diffusion au festival d’Annecy en 2023, il n’a pas volé ses nombreuses récompenses : c’est un film dont le bonheur et l’émotion sont contagieux.
L’histoire commence par une relation conflictuelle entre une mère (Paulette) et une fille (Linda) qui ne se comprennent pas. En essayant de faire la recette du poulet au poivron, Paulette veut recréer un lien avec Linda. À hauteur d’enfant, le récit suit cette quête un peu improbable. Les cinéastes n’ont pas voulu de magie ou de fantastique, mais d’ancrer leur scénario dans une réalité bien réelle : une grève générale, une cité et des enfants qui rêvent. Le lien qui se tisse peu à peu entre la mère et la fille s’étend à l’ensemble de la population et le repas familial devient une occasion de se regrouper et de se rassembler. C’est aussi une population modeste face à la police qui se ligue pour faire front. Actuellement cette vision presque enfantine des rivalités entre personnes venant de banlieues et force de l’ordre est nécessaire. Le climat de violence est déjoué par la gaieté et la joie des habitants et habitantes de se retrouver.
Sébastien Laudenbach, réalisateur du magnifique La jeune fille sans main (2016) et Chiara Malta, réalisatrice de Simple Women (2019), se retrouvent après un court métrage ensemble A comme Azur. En travaillant main dans la main, elle et il dirigent ce petit monde à la perfection. Lui à l’animation – si particulière, chaque personnage a une couleur et les traits créent les émotions et les silhouettes – à partir d’orientations choisies à deux. Elle s’est occupée plus particulièrement du son et des dialogues, recréant pour les jeunes acteurs et actrices un tournage proche d’un film en prise de vue réelle. Ce qui donne ce ton et cette légèreté à travers maintes péripéties folles. Le casting est particulièrement bien trouvé, Clotilde Hesme interprète Paulette, la mère de Linda un peu perdue depuis la mort de son mari, Laetitia Dosch est Astrid, la sœur de Paulette qui tente de trouver un équilibre à sa vie en étant proche de yoga et Esteban, un policier débutant qui en voulant bien faire en fait trop et mal. De plus, l’animation permet d’effacer les origines, les différences et de montrer la diversité et l’originalité des héros et héroïnes du quotidien de Linda.
Burlesque, loufoque et touchant, Linda veut du poulet ! n’est en rien végétarien, mais laisse malgré tout des saveurs délicieuses en bouche : celle de la solidarité et de l’entraide.
Nina et le secret du hérisson – Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli – dès 6 ans
Nina écoute tous les soirs les histoires que son père lui raconte et lui dessine. Pourtant un jour, son père n’a plus le cœur à lui inventer une histoire. Nina s’inquiète : est-ce à cause de son licenciement suite à la fermeture de l’usine ? Avec l’aide de son meilleur ami, Mehdi, elle va tout faire pour le sauver.

Découvert en première mondiale durant une séance événement au Festival d’Annecy 2023, le nouveau film d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli, Nina et le secret du hérisson, fait des étincelles. Après Phantom Boy et Une vie de chat, les deux cinéastes français livrent l’histoire de Nina, une courageuse fillette qui veut à tout prix sauver son père de la déprime. Elle se lance alors dans une aventure pleine d’humour et de rebondissements, qui la fera grandir, elle et son ami, Mehdi.
À hauteur d’enfants, le film aborde la lutte d’ouvriers qui voient leur usine fermée du jour au lendemain suite aux malversations du patron. Celui-ci, en effet, a volé de l’argent à l’entreprise qui a fait faillite et doit fermer — métaphore à peine voilée des grands patrons qui s’en mettent plein les poches en délocalisant leur usine. Le père de Nina, qui lui racontait chaque soir depuis plusieurs années l’histoire d’un petit hérisson à la recherche de sa place dans le monde, arrête d’inventer et de dessiner les contes. Nina, du haut de ses dix ans, ne trouve pas cela normal. Où est passée la joie de vivre de son père?? Le chômage forcé est vécu comme un échec, et Nina comprend bien que son père est écœuré. Elle monte alors un plan pour récupérer l’argent qui doit bien être caché quelque part dans l’usine, gardé par un féroce chien et un homme effrayant. Aidée de Mehdi et du hérisson inventé par son père, elle va devoir rassembler tout son courage et son ingéniosité pour s’en sortir vivante.
Outre une histoire folle, drôle et humaine, la qualité du film réside également dans son animation atypique et magnifique. Les traits fins, le travail des ombres, les couleurs chatoyantes des personnages, mais aussi du décor — la majorité de l’histoire se déroule dans une forêt aux multiples animaux — nous font rêver et nous transportent. De plus, les acteurs et actrices — Audrey Tautou (la mère de Nina), Guillaume Canet (le père) et pour la première fois au cinéma Loan Longchamp (Nina) et Keanu Peyran (Mehdi) – parviennent à donner chair à leur personnage.
Véritable film de braquage qui réjouira les petits et les grands, Nina et le secret du hérisson aborde avec intelligence et subtilité les différentes émotions que les enfants vivent au quotidien : peur, tristesse, joie et même amour. Le film rappelle aussi que les enfants comprennent ce qui se passe dans le monde des adultes. L’histoire est une belle leçon d’humanité et d’humilité. Nina et Mehdi savent rebondir et rester soudé.e.s face à la méchanceté des adultes et à leur absurdité — à l’image d’un petit hérisson qui renifle le billet de 500 euros et continue son chemin.
Le Royaume de Kensuké – Neil Boyle et Kirk Hendry – dès 8 ans
Michael a dû suivre ses parents partis faire le tour du monde en voilier suite à un licenciement. Lors d’une tempête, il se retrouve projeté hors du bateau avec sa chienne, Stella. Ils échouent sur une île composée d’une grande falaise et d’un tout petit bout de plage. Après quelques jours, Michael découvre chaque matin un petit déjeuner qui l’attend.

Présenté en compétition Officielle au Festival d’Annecy en 2023, l’adaptation du roman éponyme de Michael Morpurgo, Le Royaume de Kensuké est une beauté visuelle. En racontant l’histoire d’un jeune garçon qui se retrouve sur une île sauvage, le film aborde la question de la biodiversité et de la place de l’être humain dans ce que nous appelons «?la Nature?».
Après une brève première partie, où nous découvrons Michael, un jeune anglais qui subit le voyage que ses parents ont entrepris après la perte de leur emploi, le film change de ton. Le garçon se confronte à une autre réalité. Malgré la dureté du voyage en voilier, le manque de reconnaissance de la part de son père et l’étroitesse du bateau, l’île n’est pas plus accueillante. Le pan de sable où il échoue avec sa chienne, Stella, est limé par le soleil et l’océan monte et descend ne lui laissant pas de place. Il découvre alors l’inhumanité de sa situation, mais aussi une profonde humanité. Il fait la connaissance de Kensuké, un vieil homme japonais, qui lui fait découvrir la beauté de l’île, ses mystères et ses habitants. Même s’ils ne parlent pas la même langue, ils communiquent avec sensibilité et intelligence. Le film laisse plus la place aux bruits de la jungle environnante qu’aux dialogues. Et si Michael peut sembler insupportable avec toutes ses questions, toutes ses actions irrespectueuses, il nous met surtout face à nos contradictions et à notre non-respect quotidien du monde qui nous entoure.
Impossible de ne pas penser à Robinson Crusoé et son aventure sur une île où les seuls rares habitants sont des cannibales venus manger leurs proies. Pourtant contrairement au récit d’origine, ici l’être humain n’essaye pas d’apprivoiser son environnement en plantant du blé ou en voulant des serviteurs, mais en cohabitant avec ce qui l’entoure. Kensuké a fait une cabane discrète en parfait alignement avec l’arbre qui l’abrite, il mange les fruits qu’il trouve sur l’île, se rapproche des orangs-outans, dessine… Il ne s’impose plus en conquérant, mais en observateur. Il n’essaye pas de modifier l’île qui peut paraître inhabitable aux premiers abords. Ainsi la nature peut parfois sembler cruelle, mais en apprenant les différentes choses qui la composent, elle peut devenir plus agréable. Et ce ne sont plus les cannibales d’un autre temps qui inondent régulièrement l’île de leur violence, mais des braconniers, sans cœur ni âme, qui séparent, tuent et kidnappent des êtres vivants.
Le Royaume de Kensuké est une balade philosophique, visuelle et poétique d’un monde que l’on voudrait inventer et qu’il faut aujourd’hui protéger plus que tout.
Marine Moutot
Léo
Réalisé par Jim Capobianco et Pierre-Luc Granjon
Animation, historique, Irlande, France, États-Unis, Luxembourg, 1h39
31 janvier 2024
KMBO
Linda veut du poulet
Réalisé par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach
Avec Mélinée Leclerc, Clotilde Hesme, Laetitia Dosch
Comédie, France, Italie, 1h24
18 octobre 2023
Gebeka Films
Nina et le secret du hérisson
Réalisé par Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli
Avec Audrey Tautou, Guillaume Canet, Guillaume Bats
Aventure, France, 1h18
11 octobre 2023
KMBO
Le Royaume de Kensuké
Réalisé par Neil Boyle et Kirk Hendry
Drame, Angleterre, 1h24
7 février 2024
Le Pacte