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Et c’est parti pour une nouvelle édition ! Le Festival Lumière de Lyon est de retour pour sa quinzième année. Entre restaurations, séances évènements, films classiques et cultes, découvertes, avant-premières et master class, on vous parle de nos déambulations à travers les salles lyonnaises et les différents lieux de festivités !
Lundi 16 octobre
Le Festival a débuté depuis deux jours déjà mais pour nous, les choses sérieuses commencent enfin ! Ce matin nous nous levons tôt pour rejoindre une nouvelle fois le cinéma Lumière Terreaux situé au centre-ville de Lyon. Néanmoins, aujourd’hui, nous n’enfilons pas notre tenue de projectionniste. Nous venons comme festivalières et spectatrices pour découvrir l’un des films de la cinéaste espagnole Ana Mariscal. Nous n’allons pas mentir, nous n’avions jamais entendu parler de ce nom avant… Mais c’est là l’une des forces du Festival Lumière que de faire découvrir à son public, quelques pépites oubliées et notamment, des réalisatrices anormalement mises de côté dans l’histoire du cinéma.
Après un petit coucou aux collègues – bien occupés ! -, nous pénétrons dans une salle déjà bien remplie. Quelques minutes plus tard, elle sera pleine de personnes venues découvrir La Quiniela, film de 1960, sous-titré en français spécialement pour le Festival Lumière 2023. Il s’agit de l’un des films les plus commerciaux et populaires d’Ana Mariscal qui a débuté comme actrice dans des films à succès en Espagne. Un moment considérée comme la “petite protégée de Franco” à cause de sa participation à des long-métrages à la gloire du franquisme, elle décide de prendre son indépendance en créant sa propre société de production Bosco Films, en 1953. Cela lui permet également de devenir réalisatrice et de partager sa propre vision du monde. La même année, elle réalise son premier film, Segundo Lopez, l’histoire d’un homme qui quitte sa campagne pour rejoindre la ville. La Quiniela, que nous découvrons ce matin-là, est sa troisième réalisation. Il évoque la passion des Espagnols pour le football et les paris sportifs mais également, le rêve d’une vie meilleure.

Très proche dans le style, La Quiniela nous rappelle les comédies italiennes des années 50. Bien qu’inégal et parsemé de moments qui n’apportent pas grand chose à l’intrigue principale, le film reste malgré tout une comédie sympathique avec quelques moments exquis. Sous son aspect léger, le film regorge également de dialogues très travaillés, à double sens, permettant à Ana Mariscal une critique plus ou moins camouflée de certaines institutions espagnoles et même, du système de “starification” qu’elle a subi quelques années plus tôt. Cela est particulièrement vrai dans une scène jouée par Mariscal elle-même où l’actrice-réalisatrice crève l’écran grâce à un moment regorgeant de sincérité.
Il n’est pas difficile de comprendre la popularité de ce film. En évoquant la passion des Espagnols pour le sport et le besoin de changement ressenti par une population traumatisée par le franquisme, Ana Mariscal ne pouvait que toucher le public ibérique. Bien que d’autres films de la cinéaste soient présentés durant le Festival Lumière, nous n’aurons pas la chance d’en découvrir davantage. Heureusement pour nous, le best-of qui débutera dès la semaine suivante à l’Institut Lumière, nous permettra sûrement de nous rattraper et de pénétrer un peu plus encore, l’univers d’Ana Mariscal.
Le film terminé nous avons un peu de temps devant nous avant la prochaine séance. Plutôt que de flâner dans les rues, nous rentrons chez nous pour une pause déjeuner et pour commencer à rédiger le premier article de cette chronique. Vers 17h, nous retournons sur la presqu’île de Lyon pour nous rendre, cette fois-ci, au cinéma Pathé Bellecour. Nous ne sommes pas très étonnées de voir la salle se remplir en un rien de temps. Les festivaliers sont curieux et se sont donc donnés rendez-vous pour découvrir un film peu connu du cinéma français, Cinq Tulipes rouges de Jean Stelli (1949). Cinéaste français surtout connu pour son film Le Voile bleu (1942), Stelli réalise plus de trente films entre les années 1930 et 1960 dont Cinq Tulipes rouges, devenu quasi-invisible après sa première exploitation. C’est Laure de Boissard, directrice adjointe catalogue et vidéo chez Pathé, qui vient présenter l’œuvre en nous expliquant notamment que la restauration a été faite à partir de négatifs dont certains étaient très abîmés. Une chose est sûre, nous sommes particulièrement fiers de faire partie des premiers spectateurs !

L’intrigue se déroule durant le Tour de France alors qu’un mystérieux assassin s’en prend à différents coureurs, signant ses crimes d’une tulipe rouge. Pour mener l’enquête, l’inspecteur Ricoul (Jean Brochard) doit suivre les étapes du Tour, accompagné d’ une journaliste sportive que tout le monde nomme “Colonelle” (Suzanne Dehelly). Filmé durant le véritable Tour de France de 1949, étapes après étapes, mêlant images d’archives et pures images de fiction, le film de Stelli mélange assez habilement histoire policière et comédie. Le tout est porté par l’incroyable Suzanne Dehelly, actrice dont le nom ne dit plus grand chose au public aujourd’hui. Pourtant, elle est bien celle qui apporte au film de Jean Stelli toute sa saveur avec un personnage fort, respecté et dont les répliques sont souvent un vrai délice. Il est vrai que découvrir qui est l’assassin n’est pas très difficile lorsqu’on est habitué au genre policier néanmoins, la fin n’en reste pas pour le moins étonnante, flirtant même avec un film d’Hitchcock ! Nous passons donc un très agréable moment devant le film et dès l’apparition du mot “fin” sur l’écran, nous nous promettons de regarder de plus près la carrière de Suzanne Dehelly qui clôture les Cinq tulipes rouges en s’éloignant de la caméra, l’air à la fois mélancolique et résignée.

Les lumières rallumées, nous enfilons rapidement notre veste car une autre séance nous attend et il est hors de question pour nous d’arriver en retard. Après un court trajet en métro, nous arrivons au cinéma UGC Astoria, situé dans le 6ème arrondissement de Lyon, non loin du Parc de la Tête d’Or. L’année dernière nous étions venues ici pour présenter Certains l’aime chaud, une expérience que nous avions adoré ! Cette fois-ci, nous nous installons directement dans un fauteuil, au premier rang (une fois de plus, la salle est pleine) pour redécouvrir un autre grand classique du cinéma américain que nous adorons mais que nous n’avions jamais eu l’occasion de voir sur grand écran : New York-Miami de Frank Capra (1934). En parallèle du Festival et de notre travail, nous continuons la rédaction de nos articles sur les screwball et il est évident que dans un tel contexte, nous ne pouvions passer à côté de la diffusion de cette pépite, modèle du genre ! Après une présentation de l’historien du cinéma Jean Ollé-Laprune, nous nous plongeons donc dans l’histoire de cette jeune et riche héritière en fuite (Claudette Colbert) dont la route croisera celle de Peter (Clark Gable), journaliste dans la presse à scandale. Comme toujours chez Capra, tout va très vite et il est impossible de s’ennuyer face au talent des acteurs et à la mise en scène si intelligente du réalisateur américain, qui saura parfaitement déjouer le code Hays.
A la fin de la séance, le film est applaudi par une public qui ressort ravi de cette projection. Sur notre chemin, nous croisons totalement par hasard deux personnes travaillant pour Pathé Patrimoine. Après quelques échanges, nous nous rendons compte qu’ils ont participé à la restauration du film de Stelli que nous avons vu un peu plus tôt et qu’eux aussi, ont dû se dépêcher pour ne pas louper l’incroyable New York-Miami.
C’est cela aussi le Festival ; des rencontres inattendues mais enrichissantes qui nous permettent – entre autres – de mettre des visages et des noms sur le travail énorme que représente la restauration des vieux films. Une belle journée de découvertes et de cinéma se termine ainsi. Demain, une autre séance nous attend avant une fin de semaine plus chargée encore.
Camille Dubois
La Quiniela
Réalisé par Ana Mariscal
Avec Ana Mariscal, Joaquin Roa, Manuel Monroy
Comédie, 1h24, 1960
Cinq tulipes rouges
Réalisé par Jean Stelli
Avec René Dary, Suzanne Dehelly, Raymond Bussières
Policier, 1h37, 1949
New York-Miami (It Happened One Night)
Réalisé par Frank Capra
Avec Claudette Colbert, Clark Gable, Walter Connolly
Comédie, 1h45, 1935