[FESTIVAL LUMIERE 2023] – Mercredi 18, Jeudi 19 et Vendredi 20 octobre

Temps de lecture : 8 minutes

Et c’est parti pour une nouvelle édition ! Le Festival Lumière de Lyon était de retour pour sa quinzième année. Entre restaurations, séances évènements, films classiques et cultes, découvertes, avant-premières et master class, on vous parle de nos déambulations à travers les salles lyonnaises et les différents lieux de festivités !  

Mercredi 18 octobre

Une fois n’est pas coutume, pour cette nouvelle journée de festival nous nous rendons dans le quartier de Monplaisir, rue du Premier film. Dans les nouvelles salles de la villa Lumière, nous nous apprêtons à découvrir un film que nous devinons d’ores et déjà surprenant. Comme l’année dernière, nous nous sommes laissés tenter par l’une des oeuvres de la section “Trésor et Curiosité” et cette fois-ci, ce sera La Clepsydre, film polonais de Wojciech Has (1973). Pour garder la surprise la plus totale, nous n’avons rien lu sur ce film, si ce n’est qu’il s’agit d’une adaptation de l’écrivain Bruno Schulz et de son recueil de nouvelles intitulé Le Sanatorium au croque-mort (1937) et, qu’il a remporté le prix du jury au Festival de Cannes 1973.  Le film attire assez de curieux pour remplir deux petites salles. La séance commence avec une présentation de Lukasz Ceranka de la société polonaise Fixafilm qui explique que le film que nous apprêtons à voir a été restauré pour la deuxième fois (après une première restauration ayant eu lieu il y a treize ans) et qu’il est devenu l’un des films le plus importants de la culture polonaise. Pourtant, à sa sortie en 1973, le film fût mal reçu par les autorités polonaises qui interdirent à Wojciech Has de réaliser durant dix années. 

La salle plonge dans le noir et nous voila embarquer dans ce voyage à la fois étrange et fabuleux. Dès les premières images, nous saisissons toutes la bizarrerie splendide dans laquelle le réalisateur va nous entraîner durant deux heures. Sous couvert d’un fils rendant visite à son père dans un sanatorium, le réalisateur enchaîne les rencontres avec des personnages tous plus énigmatiques les uns que les autres, dans des décors tantôt baroques, tantôt végétaux, tous plus sublimes les uns que les autres et rehaussés de couleurs vives. Il semble difficile de saisir ce long-métrage dans son intégralité tant il est riche en connotations et en niveaux de lecture. Quelques visionnages supplémentaires nous seront sans doute nécessaires ! 
Nous sortons de la salle un peu secouée par cette séance digne du plus étrange des rêves mais ravie d’avoir pu découvrir ce film qui, à coup sûr, marquera notre esprit pendant très longtemps. 

Quelques heures plus tard, nous rejoignons le cinéma Lumière Bellecour où nous devons assurer la billetterie pour quelques séances et notamment, celle du Festival Lumière. A 20h30 est diffusé Wanda de Barbara Loden (1970), film choisi par Wim Wenders pour sa carte blanche. Le seul long-métrage de l’actrice et réalisatrice américaine, fait salle combleLa dernière séance lancée, il est temps pour nous de retrouver notre nid douillet après cette belle journée de festival. Bien sûr, sur le chemin du retour, nous avons une pensée pour les chanceux ayant obtenu une place pour le ciné-concert du film de Robert Wiene, Le Cabinet du docteur Caligari (1920).

Jeudi 19 octobre

Nous sommes à mi-parcours de ce nouveau Festival Lumière. La fatigue commence à se faire ressentir et pourtant, lorsque nous regardons notre emploi du temps pour les jours à venir, nous comprenons bien que plus d’une tasse de café sera nécessaire pour tenir le coup ! 
Ce 19 octobre commence par une mission de projection. Nous arrivons vers 8h30 au cinéma Lumière Terreaux encore calme ; nous faisons le tours de salles pour nous assurer que rien ne traîne au sol et surtout, nous démarrons les amplis et les projecteurs qui tourneront jusqu’à la fin de la soirée. Arrivées les premières sur place, nous pouvons profiter de cette accalmie pour tester les films du festival qui seront projetés les jours suivants. 10h les bénévoles et le reste de l’équipe ne tarde pas à arriver. Le hall se remplit peu à peu des premières spectateurs venus voir les autres films à l’affiche et des festivaliers, espérant trouver un place pour Une femme dans le vent (1948), l’un des films de Yasujiro Ozu diffusé pendant le Festival. La séance est pleine. Mais la plus belle surprise est à venir. Nous l’avons appris un peu plus tôt, c’est Wim Wenders – prix Lumière de cette année – qui viendra présenter le film. Nous sommes ravies d’accueillir le réalisateur dans notre cinéma et très honorées, d’autant plus qu’il est le réalisateur favori de notre collègue du jour ! Un rêve se réalise pour elle et nous ne pouvons que profiter de ce beau spectacle. C’est ça aussi la magie du Festival Lumière. 

Après nous être remis de toutes ces belles émotions, nous accueillons d’autres spectateurs – dont quelques amis – pour une projection du film Le Chemin (1964) d’Ana Mariscal. Puis, nous terminons notre journée de projection avec l’avant-première de Chambre 999 de Lubna Playoust. 

Lubna Playoust venue présenter son film Chambre 999 auquel participe le lauréat du Prix Lumière, Wim Wenders

Il n’est donc que 17h lorsque nous retirons notre tenue de travail. L’idée d’assister à une séance du Festival en tant que spectatrices nous titille un peu .. Mais non, il faut être sage. Le lendemain va être une très grosse journée pour nous et nous devons commencer à coucher sur le papier (ou plutôt le clavier) les premiers retours sur le Festival. Après un dernier au revoir aux collègues nous quittons le cinéma Lumière Terreaux pour rentrer chez nous, d’ores et déjà excitées – et un peu stressées-  par les aventures à venir. 

A noter que le 19 octobre avait lieu la rencontre avec l’actrice espagnole Marisa Paredes.

Vendredi 20 octobre

Une fois n’est pas coutume, ce vendredi matin, nous rejoignons le cinéma Lumière Terreaux tôt le matin. Comme la veille, nous avons la chance de pouvoir profiter du lieu encore plongé dans un calme olympien pour tester quelques films et s’assurer que les séances du jour seront sans encombre. 
Nous entamons cette nouvelle journée Lumière avec la projection de L’Ile aux chiens (2018) de Wes Anderson, et ce n’est autre qu’Hippolyte Girardot qui a participé au doublage qui vient présenter le film. Nous accueillons ensuite Shion Komatsu de la société de production Toho, pour parler de Dernier Caprice (1961), autre film de Yasujiro Ozu présenté à l’occasion du Festival. Puis à 16h30, c’est le réalisateur Alfonso Cuarón qui passe les portes du cinéma Lumière pour venir présenter un film qu’il a lui-même choisi de mettre en avant durant ce Festival Lumière, La Salamandre d’Alain Tanner (1971). Nous réalisons alors la chance que nous avons de pouvoir croiser – parfois même discuter – avec certains des plus grands artistes du septième art. 
Mais nous n’avons pas vraiment le temps de rêvasser car nous devons à notre tour préparer nos présentations à venir ! En effet, cette année encore, le Festival a fait appel à nous pour animer quelques séances alors, nous quittons notre tenue de projectionniste pour enfiler celle de “responsable”, et nous quittons le cinéma Lumière Terreaux pour nous rendre au cinéma Lumière Bellecour. Nous accueillons les bénévoles puis les spectateurs avant de nous rendre en salle pour parler du film Le Salaire du Péché, réalisé par Denys de la Patellière en 1956. Très rarement diffusé, ce film est une adaptation de l’auteure américaine Nandy Rutledge. Mélangeant intrigue policière, étude des mœurs et de la bourgeoisie, il met en scène la sublime Danielle Darrieux, mais également Jeanne Moreau et Jean-Claude Pascal. Bien qu’académique, le film propose aussi un vrai travail sur le clair-obscure et sur sa musique. De plus, il sera projeté ce soir là, en 35mm. Après avoir évoqué le parcours du réalisateur, nous parlons aussi des nombreuses critiques auxquelles il dû faire face, notamment de la part des jeunes réalisateurs de la nouvelle-vague. Le Festival Lumière est l’occasion de remettre sur le devant de la scène, ce réalisateur français qui fit tourner les plus grands écrans de son époque tels que Pierre Fresnay, Jean Gabin, Michèle Morgan ou Louis De Funes. Nous quittons la salle pour laisser aux spectateurs le plaisir de découvrir ou redécouvrir le film et remercions chaleureusement les bénévoles. Nous saluons ensuite nos collègues puis quittons les cinémas Lumière.

Mais notre journée est loin d’être terminée ! Il est presque 21h et pourtant nous prenons la route pour rejoindre l’Institut Lumière et son merveilleux Hangar du Premier film. Une nuit entière de cinéma nous attend en compagnie du réalisateur japonais Kenji Misumi. Plus de deux cent festivaliers sont présents pour découvrir quatre films de ce maître du chanbara principalement connu pour sa série de film Baby Cart, sortie dans les années 1970. C’est à nous que revient la charge d’animer la soirée et si la pression se fait ressentir, nous sommes rapidement rassurées par la très bonne équipe qui nous entoure et l’enthousiasme des spectateurs. 

Cette folle soirée de cinéma débute avec Zatoïchi, le masseur aveugle (1962), premier film de la série de vingt-six longs-métrages mettant en scène Shintaro Katsu dans le rôle de Zatoïchi. Issu d’une nouvelle parue en 1961 et écrit par Kan Shimozawa, l’histoire raconte l’arrivée du yakuza/masseur au sein d’une guerre de clan. Réussi de bout en bout, ce film montre le talent évident de Kenji Misumi dans le style du chanbara – genre jugé peu ‘prestigieux’ à l’époque mais sur lequel le réalisateur avait pourtant décidé de se concentrer. 
La soirée continue avec Tuer ! ou Kiru (1962) que Misumi réalise la même année que son premier Zatoïchi et qui marque le début de sa “trilogie du Sabre”. Dans cette oeuvre, le réalisateur s’attache à suivre le parcours de Shingo. Fils d’une criminelle, le jeune homme suit une destinée funeste au cours de laquelle il deviendra un génie du sabre pourtant incapable de sauver ceux qu’il aime. Oeuvre pessimiste et sombre, Kiru prend à contre-pied un certain imaginaire du film de samouraï et se clôt par une séquence à la mise en scène remarquable. 
Une pause bien méritée permet aux spectateurs de se dégourdir les jambes, de manger un peu et de boire un petit café. Car la nuit est loin d’être terminée !


Une vingtaine de minutes plus tard, le public retourne en salle et nous sommes ravis de voir que très peu ont abandonné la partie. Le hangar du premier film est donc encore bien rempli lorsque nous nous avançons devant l’écran pour présenter le 3ème film de la soirée, Le Sabre (ou Ken, en version originale), sorti en 1962. Cette fois-ci, Kenji Misumi nous entraîne dans un club de kendo, ou le sabre du samouraï est remplacé par un sabre de bambou ; il quitte ainsi l’ère Edo pour inscrire son film dans le japon contemporain. Avec une mise en scène toujours aussi maîtrisée, Ken est l’occasion pour le réalisateur de montrer quelques traditions japonaises et de mettre en avant la spiritualité et la philosophie inhérentes à la pratique du Kendo. Presque comparable au film de la Nouvelle Vague, cette oeuvre en noir et blanc enchante la plupart des spectateurs qui, avant le dernier round, sortent de la salle après le générique, pour avaler un nouveau café. 
Nous terminons cette nuit cinématographique avec La Lame diabolique (Ken ki, 1965), qui clôture la trilogie de Misumi. Pour ce dernier film, le réalisateur revient au Japon féodal en contant l’histoire du Hampei, né d’un père inconnu et d’une mère qui décède à sa naissance. Particulièrement adepte des fleurs, le jeune homme possède plusieurs talents dont celui du maniement du sabre. Dans ce film sombre, Misumi montre l’arme comme un instrument de perversions et de destruction, capable d’influer sur le parcours de son porteur. 

Il est presque six heures du matin lorsque la salle se rallume pour la dernière fois. Les courageux spectateurs restés pour l’intégralité de la soirée sortent de la salle, émerveillés par cette nuit passée dans l’univers de Misumi. Nous leur offrons un dernier café ainsi que des croissants et des pains au chocolat. Nous échangeons encore quelques mots avec eux, puis à notre tour nous quittons le Hangar du Premier Film, épuisée mais plus que ravie de l’expérience que nous venons de vivre. 

D’autres belles expériences nous attendent dès le lendemain… Ou plutôt, dans quelques heures ! 

A noter que le 20 octobre avait lieu la rencontre avec le réalisateur et lauréat du Prix Lumière, Wim Wenders. Son prix lui fut remis ce même jour devant une salle pleine. 

Camille Dubois

La Clepsydre (Sanatorium pod Klepsydr?)
Réalisé par Wojciech Has
Avec Jan Nowicki, Gustaw Holoubek, Irena Orska
Drame , 124 min, 1973

Le Salaire du péché
Réalisé par Denys de la Patellière
Avec Danielle Darrieux, Jean-Claude Pascal, Jeanne Moreau
Drame , 110 min, 1956

Zatoïchi, le masseur aveugle (Zatoichi monogatari)
Réalisé par Kenji Misumi
Avec Shintaro Katsu, Shigeru Amachi, Ejiro Yanagi
Drame, Chanbara , 96 min, 1962

Tuer (Kiru)
Réalisé par Kenji Misumi
Avec Raizo Ichikawa, Shiho Fujimura, Mayumi Nagisa
Drame, Chanbara , 71 min, 1962

Le Sabre (Ken)
Réalisé par Kenji Misumi
Avec Raizo Ichikawa, Yusuke Kawazu, Yuka Konno 
Drame, Chanbara , 94 min, 1964

La Lame diabolique (Ken ki)
Réalisé par Kenji Misumi
Avec Raizo Ichikawa, Kei Sato, Michiko Sugata
Drame, Chanbara , 83 min, 1965

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