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[Cet article contient des spoilers]
Heureux et accompli, Ellias devient le nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de haute couture française. Quand il apprend que son père, qu’il ne voit plus depuis de très nombreuses années, vient de mourir d’une crise cardiaque, il décide de se rendre au Québec pour régler la succession.
Six ans après Jusqu’à la garde (2017) récompensé par plusieurs César dont celui du meilleur film, Xavier Legrand est de retour sur les grands écrans avec Le Successeur sorti le 21 février 2024. Librement inspiré du roman d’Alexandre Postel (L’Ascendant, publié en 2015), le film nous offre une plongée asphyxiante dans l’univers d’Ellias (ou plutôt, Sébastien de son vrai nom) à un moment charnière de sa vie. Son mentor dans l’univers de la mode vient de mourir et il est naturellement désigné comme étant celui devant prendre sa suite. Mais contrairement à ce que la première partie du film peut nous amener à penser, ce n’est pas cette succession-ci qui intéresse le réalisateur. Car le père biologique de Sébastien meurt lui aussi subitement et, bien que les ponts semblent avoir été coupés depuis bien longtemps entre les deux hommes, le créateur de mode décide d’aller s’occuper de l’enterrement de son père au Québec. Dès lors, c’est un tout autre film qui démarre.
La première scène du film – un défilé de mode magnifiquement filmé – semble alors bien loin. Le Québec est froid, tout comme la chambre d’hôtel de Sébastien qui, malgré son luxe, paraît austère. Il en est de même pour le bâtiment des pompes funèbres : fastueux mais sans âme. Il n’y a que la maison du père, parsemée de traces de vie, qui vient contrebalancer quelque peu l’aspect glacial de ce Canada dépeint par Legrand. Un Canada que celui qui se fait appeler Ellias a évité pendant des années. C’est d’ailleurs à travers les yeux du personnage interprété par le génialissime Marc-André Grondin que l’on découvre ce pays. Et c’est à travers sa déambulation dans cette maison inconnue que l’on apprend le terrible secret de son père. On comprend rapidement que c’est bien cette succession morbide qui est le centre du film. Que faire face à une découverte si horrible ? Que faire lorsqu’on apprend que son père biologique est capable de telles atrocités ?
Les choix de Sébastien sont questionnables et c’est d’ailleurs là l’une des critiques régulières que l’on peut lire sur le film. Mais il est facile de blâmer le film et son réalisateur. Il est par contre beaucoup plus difficile de se mettre à la place de ce personnage traumatisé par une expérience que l’on imagine effrayante et à laquelle nous n’avons pas réellement accès, si ce n’est par une vision rapide qui semble hanter le créateur de mode. Lorsque Sébastien se retrouve face à la réalité, le spectateur, lui, ne la voit pas ; il la devine seulement par des cris, un objet qui vole et surtout, la peur qui envahit le personnage. Et c’est ici que le cinéaste montre toute sa dextérité ; il traumatise le public sans rien montrer, à travers la réaction de son héros principal. Incrédule, paniqué, effrayé, Sébastien ne prend certainement pas la bonne décision, mais cela ne remet aucunement en cause la qualité du film. Le Successeur est une tragédie grecque et comme Oedipe, Sébastien ne peut échapper à son funèbre destin. Il se retrouve embarqué dans une spirale infernale amorcée par son père ; un homme que tout le monde croyait au-dessus de tout soupçon. Sur ce point, le film frappe un grand coup et nous rappelle que toute personne – y compris celles qui semblent être les plus innocentes – sont susceptibles de faire du mal.
Le thème de la spirale est développé par l’esthétique du réalisateur ; elle apparaît lors du défilé, dans l’immense bâtiment des pompes funèbres ou encore sur l’affiche même du film. Ainsi, le réalisateur nous rappelle que lorsqu’on s’embarque sur un chemin tortueux, il est quasi impossible de s’en sortir.
Le film n’est pas facile à regarder. Il peut être une véritable une épreuve pour le spectateur puisqu’il navigue entre plusieurs genres : le drame familiale, le thriller et parfois même, le film d’horreur. De plus, Xavier Legrand parvient parfaitement à nous tenir en haleine en ne nous laissant que peu de répit ; à l’image de la scène d’enterrement. Si dans un premier temps, nous pouvons imaginer qu’elle va clôturer le film et l’enfer de Sébastien, elle s’avère finalement être le point d’orgue de l’horreur.
Avec Le Successeur, Xavier Legrand aborde une nouvelle fois la question du père, du poids du patriarcat et de l’héritage. Car avant d’être le successeur d’un grand nom de la mode, Sébastien est le successeur d’un père qui – même renié – lui lèguera son héritage destructeur.
Camille Dubois
Le Successeur
De Xavier Legrand
Avec Marc-André Grondin, Yves Jacques, Anne-Elisabeth Bossé
Drame, France, Canada, 1h52
Haut et Court
Sorti en salle le 21 février 2024