[FESTIVAL LUMIERE 2024] – Lundi 14 et Mardi 15 octobre

Temps de lecture : 5 minutes

Le Festival Lumière est de retour pour sa quinzième année. Entre restaurations, séances évènements, films classiques et cultes, découvertes, avant-premières et masterclass, on vous parle de nos déambulations à travers les salles lyonnaises et les différents lieux de festivités ! 


Lundi 14 octobre

Le lundi 14 octobre, impossible pour nous d’assister à une séance du Festival. Nous suivons les nouvelles sur internet et les réseaux sociaux. Nous regrettons notamment de ne pas pouvoir assister à la soirée spéciale dédiée à Xavier Dolan !
A l’auditorium, le réalisateur canadien est venu discuter avec le public et présenter son film Mommy (toujours accompagné de l’actrice Anne Dorval et de l’acteur Antoine Olivier Pilon)  dans une copie spécialement conçue pour l’occasion. Une copie 35 mm ! On ne peut qu’imaginer la magie de ce moment car un film diffusé en pellicule est toujours un événement extraordinaire !
D’ailleurs, ce même jour, un autre film était diffusé au public grâce au support physique. Et pour cause, il n’existe aucune autre copie en France et celle-ci provient des collections de l’Institut Lumière. Il s’agit de Cinq jours, ce printemps-là, le dernier film de Fred Zinnemann (1982) avec Lambert Wilson et Sean Connery. Nous espérons qu’il fera partie du best-of d’après Festival !Une autre séance avait attiré notre attention : la rencontre avec Costa-Gavras, déjà honoré lors de la cérémonie d’ouverture. Au Pathé Bellecour, situé en Presqu’île, le réalisateur est venu discuter de son cinéma mais a également présenté le premier épisode de la série dédiée à sa carrière : Le siècle de Costa-Gavras – Z : Tous les films sont politiques (Yannick Kergoat, 2024).

© Institut Lumière – Jean-Luc Mège Photography

Mardi 15 octobre

Un peu déçue de ne pas avoir participé à la fête la veille, nous décidons de nous lever tôt pour pouvoir profiter d’une séance du Festival, avant de retourner au travail. Il est donc 10h20 lorsque nous arrivons au Lumière Terreaux (une fois de plus) pour découvrir la réalisatrice mexicaine Matilde Landeta. Depuis plusieurs années déjà, le Festival Lumière a ouvert une section « Histoire permanente des femmes cinéastes » qui permet au public de découvrir (ou re-découvrir) chaque année, une cinéaste partiellement ou totalement oubliée. Après Mai Zetterling, Ida Lupino, Larissa Chepitko (entre autres), la programmation a décidé de s’intéresser à cette artiste mexicaine dont – il faut bien l’avouer – nous n’avions jamais entendu parler !

Matilde Landeta a réalisé trois films de 1949 à 1951 puis, puis deux derniers entre les années 1982 et 1991. Seuls les trois premiers sont présentés lors de ce Festival.
Elle fait ses premiers pas sur les plateaux de cinéma lorsqu’elle accompagne son frère, acteur. On lui propose tout d’abord d’être maquilleuse puis scripte – des métiers alors plutôt destinées aux femmes. Lorsqu’elle veut passer derrière la caméra, les portes se ferment et les financements sont difficiles à trouver. Malgré de nombreux obstacles, Matilde Landeta accède au métier d’assistante-réalisatrice puis de réalisatrice ; la légende raconte qu’elle serait même arrivée sur un tournage en portant un pantalon et une moustache pour se faire respecter par ses équipes !

Trotacalles que nous découvrons ce matin est son troisième film. On pourrait traduire ce terme espagnol par « flâneur/flâneuse » ou plutôt – à la vue du film – par « prostituée ». En effet, l’histoire est celle de deux sœurs que tout sépare et qui, ne se côtoient plus depuis des années. Elena (Miroslava) s’est mariée à un homme riche pour profiter de sa fortune et s’offrir une vie tranquille. Maria (Elda Peralta) elle, vit pauvrement et est obligée de se prostituer pour survivre. Amoureuse de Rodolfo (Ernesto Alonso) –  qui est aussi son proxénète – elle subit ses violences, ses tromperies sans se douter de ce qu’il manigance avec Elena.
Le film débute par une scène intrigante qui nous laisse présager de bonnes choses pour la suite ; Landeta filme l’ombre de jambes féminines projetées sur le bitume. Elle montre les trotacalles exactement comme elles sont perçues par le reste de la société, c’est-à-dire comme des formes dont on peut profiter quand on le souhaite, mais qu’on ne souhaite pas voir. Au fur et à mesure du film, nous nous rendons compte que Landeta déploie tout son talent lorsqu’elle pose sa caméra dans la rue, face à ces femmes marginales. Son cinéma se mue alors en une espèce de forme mexicaine du néo-réalisme où la vérité terrible de ces femmes laissées pour compte transperce la caméra. Une scène reste particulièrement marquante à cet égard : alors qu’un petit groupe de chanteurs de rues entame une chanson dont les paroles ne laissent aucun doute sur le mépris de la société envers les trotacalles, Maria et son amie Ruth (Isabela Corona) apparaissent en arrière-plan, adossées à la porte, toujours dans l’attente. Malgré les horreurs qu’elles entendent, elles fument leurs cigarettes, sans plus de réactions. En une scène, Matilde Landeta parvient à montrer la force insensée qui animent ces femmes, obligées de se prostituer. Et c’est sans doute parce qu’elle semble si pertinente lorsqu’elle filme la rue que Landeta manque soudainement de pertinence lorsqu’elle s’intéresse à l’autre sœur, Elena. Dans les intérieurs bourgeois, son style devient la pâle copie d’un film noir américain et perd de sa force et de son intérêt. On comprend pourquoi elle-même disait qu’elle aimait « filmer les femmes fortes » ou encore que « à travers le cinéma, je n’ai eu de cesse que de montrer les femmes comme autre chose que des mères sacrificielles et des épouses résignées ».  
Malgré cette inégalité, Trotacalles reste un film intéressant mais surtout touchant. On sent dans ce montage restauré que le matériel de base est fragile et que les films de Matilde Landeta étaient amenés à disparaître et à être oubliés. Une fois de plus, le travail de recherche et de restauration (ici menés par la filmoteca de la UNAM, Mexique) permet de faire  découvrir les talents de cette grande réalisatrice de l’âge d’or du cinéma mexicain. Espérons que ce travail ne se perde pas, que les films soient diffusés dans d’autres festivals, voire même édités en DVD et que Matilde Landeta retrouve sa place dans l’histoire du cinéma.

Lorsque les lumières se rallument, nous avons tout juste le temps de parler un peu du film avec une collègue qui a également assisté à la séance. Le travail nous attend ! Nous n’aurons pas à attendre trop longtemps car nos prochaines séances se tiendront dès le lendemain !

Camille Dubois

Rue des femmes perdues (Trotacalles)
Réalisé par Matilde Landeta
Avec Miroslava, Ernesto Alonso Elda Peralta
Drame, 1h38, 1951

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