Temps de lecture : 10 minutes
Le Festival Lumière est de retour pour sa quinzième année. Entre restaurations, séances évènements, films classiques et cultes, découvertes, avant-premières et masterclass, on vous parle de nos déambulations à travers les salles lyonnaises et les différents lieux de festivités !
Mercredi 16 octobre
Nous entamons notre journée par quelques heures de travail, mais nous ne nous en plaignons pas. Le mercredi matin est sans doute la journée la plus intéressante lorsque l’on est projectionniste ! Seules dans le cinéma, nous devons tester les films à venir et ce mercredi 16 octobre, il s’agit surtout de films destinés au jeune public ! La cause ? Dans quelques jours débutera le Festival Toile de Mômes qui se tiendra dans les salles de la région Rhône-Alpes. Alors, nous enchaînons les tests, réalisons les réglages nécessaires puis 15h30 arrive et nous pouvons quitter notre poste pour rejoindre l’UGC Astoria.
Nous pénétrons dans cette salle que nous aimons tant et dans laquelle nous sommes venues voir des films et faire quelques présentations les années précédentes. La séance ne débute pas avant 40 minutes alors nous profitons de ce moment pour écrire quelques lignes pour les prochains articles. Mais le temps passe vite lorsqu’on est au cinéma et bientôt, Jean Ollé-Laprune – historien du cinéma et ambassadeur Lumière – arrive sur scène pour présenter À chacun son destin de Mitchell Leisen (1946). Ce réalisateur américain aujourd’hui un peu oublié, a commencé sa carrière comme décorateur et costumier, travaillant notamment pour Raoul Walsh ou Cecil B. De Mille dont il deviendra ensuite l’assistant-réalisateur (et le protégé). Il signe un contrat à la Paramount au début des années 1930 et réalise dès lors de nombreux long-métrages plus ou moins réussis. Durant sa carrière, il explore différents genres pour répondre à des commandes. De notre côté, si nous connaissons un peu le travail du cinéaste c’est grâce à ses screwball et autres comédies telles que La Baronne de Minuit (1939) ou encore La Vie facile (1937). Nous avons donc hâte de découvrir son style et son sens visuel très fort à travers un drame, ici mené par Olivia de Havilland.

A cause de problèmes avec le studio dans lequel elle est engagée (la Warner), l’actrice n’est plus apparue devant la caméra depuis trois ans, lorsqu’elle accepte de jouer Joséphine Norris. En contrepartie, elle impose Mitchell Leisen à la réalisation, lui, qui l’a déjà dirigée en 1941 dans Par la porte d’or, film qui avait valu à Olivia de Havilland, une nomination à l’Oscar de la meilleure actrice ! Elle gagnera une statuette pour A chacun son destin.
Tout commence à Londres, la veille du nouvel an, alors que la ville est bombardée par les Allemands. Joséphine Norris (Olivia de Havilland) doit veiller sur l’un des bâtiments de la ville. Elle y rencontre Lord Desham (Roland Culver) qui tente de percer sa carapace ; âgée d’une cinquantaine d’année, cette femme semble apprécier la solitude et camoufler un secret ou plutôt, une blessure. Soudain, elle rejoint la gare et alors qu’elle attend l’arrivée d’un train, des flashbacks nous ramènent à ses jeunes années pour nous permettre de comprendre ses mystères.
Plutôt que de proposer un récit linéaire, Mitchell Leisen permet avec ses retours en arrière de découvrir Joséphine par petites touches et donc, de rendre le personnage plus complexe que ceux habituellement présents dans les mélodrames. Tantôt digne, tantôt au bord d’une crise qui lui fait prendre les pires décisions, Joséphine est sans doute l’une des figures du genre les mieux écrites ou en tout cas, celle avec la psychologie la plus aboutie. De plus, Leisen prend garde de ne pas multiplier les gros plans, évitant ainsi de sombrer dans le pathos.
Les autres personnages qui gravitent autour d’elle apportent soit la légèreté soit la dose d’informations nécessaires pour faire avancer l’intrigue. L’équilibre est parfait et, il en est de même du rythme général du film. On ne s’ennuie pas un instant et même si certains aspects de la fin peuvent être prévisibles, le réalisateur parvient à nous entraîner dans son récit, du début jusqu’à la dernière seconde, avec élégance et légèreté.
Il faut également noter que le sujet est audacieux pour l’époque puisqu’il aborde la question de la naissance d’un enfant hors mariage ! Là aussi, Mitchell Leisen se montre délicat et à aucun moment, il ne porte de jugement – ou pousse le spectateurs à en porter un – sur le comportement de Joséphine.
On tient certainement là notre premier coup de cœur de ce Festival Lumière ! Mitchell Leisen est un artiste sous-estimé et cette pensée nous pousse à noter dans un coin de notre tête qu’il faudra absolument rédiger un article sur lui prochainement !
Nous sentons qu’autour de nous, les autres spectateurs aussi ont chaviré pour ce mélodrame touchant et efficace. Malheureusement le temps presse et nous ne pouvons pas prendre le temps de discuter avec eux.
Nous courons jusqu’au métro pour rejoindre la Presqu’île et, malgré un petit arrêt intempestif du transport, nous arrivons tout juste à l’heure pour notre deuxième et dernière séance de la journée ! Celle-ci se déroule au Pathé Bellecour et bien que la salle allouée au Festival soit immense, elle est déjà presque pleine lorsque nous y pénétrons. Pas le choix, nous descendons rapidement les marches et nous plaçons sur l’un des premiers rangs. C’est cette fois-ci Laurent Delmas (journaliste, critique et autre ambassadeur Lumière) qui vient nous dire quelques mots sur C’étaient des hommes de Fred Zinnemann (1950). Selon lui, ce film est la preuve que Zinnemann est non seulement un grand réalisateur mais également un “auteur”. Cette œuvre lui permet d’aborder pour la troisième fois de suite le thème de la guerre et de ses séquelles (après Les Anges marquées et Acte de violence en 1948). Plus précisément, Zinnemann filme ici un hôpital militaire dans lequel des soldats devenus paraplégiques tentent de se réadapter à la vie civile. Encore inconnu du grand public (il tourne Un tramway nommé désir en 1951) Marlon Brando y tient le rôle principal, celui de du commandant Ken Wilocek. Très impliqué dans son travail – et élève de Stella Adler – l’acteur passe plusieurs mois dans un établissement pour personnes paraplégiques et apprend ainsi à se déplacer avec un fauteuil roulant pour que son corps puisse retenir ce qu’il peut et ne peut plus faire.

De par son thème, le film est d’une grande pertinence et met en exergue la difficulté des vétérans à retrouver leur place dans la société. Bien que l’hôpital soit pourtant fait pour les accueillir, nous avons la sensation que tout est toujours trop petit pour laisser aux anciens soldats, la possibilité de se mouvoir comme ils le souhaitent. Comme dans une caserne, des lits sont alignés les uns à côté des autres dans une immense salle, ne laissant aux hommes que peu d’intimité. Lorsque Ken Wilocek rentre dans une pièce pour rejoindre ses camarades installés devant une télé, la porte se met en travers du chemin et son corps doit alors se tordre pour pouvoir s’installer correctement. Le réalisateur insiste sur ce manque d’espace en filmant principalement des scènes d’intérieurs et en utilisant des cadres foisonnant de corps ou d’objets en tout genre.
Malgré ce travail sur le manque d’espace et le jeu de Marlon Brando, le film ne parvient pas totalement à nous emporter. La psychologie des personnages – qui devrait pourtant être le cœur du récit – n’est pas assez développée et le tout manque globalement d’une mise en scène plus approfondie, comme Zinnemmann l’avait proposé pour Acte de violence que nous avons vu quelques jours plus tôt.
Le film nous laisse un peu sur notre faim mais nous sommes heureuses d’avoir pu découvrir une autre facette du travail de Zinnemann.
Il est maintenant temps pour nous de rentrer car demain, une nouvelle journée de travail nous attend !

A noter que ce mercredi 16 octobre, la salle de l’Institut Lumière accueillait Arnaud Desplechin pour l’avant-première de son film Spectateurs ! dont la sortie est prévue pour le 15 janvier 2024. Dans cette même salle, en début d’après-midi, Justine Triet est venu discuter de sa cinéphilie avec les festivaliers dans un nouveau format qui semble avoir remporté tous les suffrages ! Enfin, l’Institut Lumière a pu célébrer l’arrivée d’Isabelle Huppert, prix Lumière de cette année 2024 ! L’actrice est venue à la rencontre de son public pour présenter une première séance au Hangar. Devant une salle pleine, elle a évoqué sa joie de recevoir un accueil si chaleureux et son travail avec Claude Chabrol dont on projetait le film Violette Nozière (1978).
Jeudi 17 octobre
Ce matin, le réveil est difficile ! A peine remises des émotions de la veille suscitées par le film de Mitchell Leisen, nous devons nous rendre au travail. Nous rejoignons donc le cinéma Lumière Terreaux à 8h30 pour enfiler notre tenue de projectionniste et pour préparer cette nouvelle journée de Festival !
Une fois les machines lancées, nous nous installons dans la salle qui reçoit les festivaliers pour effectuer quelques tests ; nous avons alors la chance de voir des extraits de Jaguar de Lino Brocka (1979), de La Terre de la grande promesse d’Andrzej Wajda (1975) ou encore de OSS 117 : Rio ne répond plus de Michel Hazanavicius (2009). Nous avons également la possibilité de tester la copie restaurée de Gilda de Charles Vidor (1946) et bien sûr, nous ne résistons pas à l’envie de revoir cette scène mythique où Rita Hayworth interprète “Put the Blame on Mame”. C’est une belle façon de commencer la journée !
Vers 10h00, les premiers spectateurs commencent à arriver pour voir les autres films diffusés dans le cinéma ou pour assister à la première séance du festival. Nous projetons Échappement Libre de Jean Becker (1964) et le réalisateur nous fait l’honneur de venir lui-même parler de son film.
La journée défile à une vitesse folle. Les séances se suivent, les salles se remplissent et bientôt, il est l’heure pour nous de laisser la place de projectionniste à un collègue.

Ce soir-là, nous devons assister à l’habituel ciné-concert se déroulant à l’Auditorium de Lyon. Mais la fatigue l’emporte et au vu de ce qui nous attend pour les derniers jours de festival, nous estimons qu’il est plus sage de rentrer directement chez nous pour nous reposer. Nous sommes un peu déçues bien évidemment.. Mais nous nous rassurons en nous disant que nous connaissons très bien le film projeté puisqu’il s’agit de Vampyr de Carl Theodor Dreyer (1932).
Après l’énorme succès de La Passion de Jean d’Arc (1928), Dreyer décida de tourner son premier film sonore avec Vampyr. Le long-métrage fut un échec auprès du public et poussa le réalisateur à s’éloigner des plateaux de cinéma pendant près de dix ans. Pourtant, lorsqu’on voit cette œuvre aujourd’hui, force est de constater l’audace et l’intérêt esthétique qu’elle représente. Tout en racontant l’histoire d’Allan Gray (Julian West) et de ses aventures dans une auberge étrange, le réalisateur enchaîne les images marquantes, les trucages, les surimpressions, les jeux d’ombres … Tant d’images qui offrent au récit sa dimension fantastique, étrange voire même mystique et, qui restent ancrées dans nos rétines.
Ne pouvant assister à la séance, nous n’avons pas eu la chance d’écouter l’Orchestre national de Lyon accompagné de ce chef d’œuvre, néanmoins, nous n’avons que peu de doute sur la réussite de la soirée !
Nous nous promettons de nous rattraper après le Festival et de prendre le temps de revoir encore une fois ce sublime film de Carl Theodor Dreyer !
Camille Dubois
A chacun son destin (To Each His Own)
Réalisé par Mitchell Leisen
Avec Olivia de Havilland, Mary Anderson, John Lund
Drame, 2h02, 1947
C’étaient des hommes (The Men)
Réalisé par Fred Zinnemann
Avec Marlon Brando, Teresa Wright, Everett Sloane
Drame, 1h25, 1950
Vampyr
Réalisé par Carl Theodor Dreyer
Avec Julian West, Maurice Schutz, Sybille Schmitz
Fantastique, 1h23, 1932