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Le Festival Lumière est de retour pour sa quinzième année. Entre restaurations, séances évènements, films classiques et cultes, découvertes, avant-premières et masterclass, on vous parle de nos déambulations à travers les salles lyonnaises et les différents lieux de festivités !
Samedi 19 octobre
Nous nous remettons à peine de la nuit Jodorowsky et pourtant, nous sommes déjà sur le pont ! Après trois petites heures de sommeil et une bonne tasse de café (indispensable pendant les périodes de Festival), nous sommes déjà de retour rue du Premier Film pour assister à la conférence de presse d’Isabelle Huppert ! La veille, l’actrice française a reçu le prix Lumière des mains d’Alfonso Cuaron et de Noémie Merlant, avant de déclaré : « On m’avait dit que la remise de Prix Lumière était un moment particulier, mais là, c’est au-delà de ce que j’avais imaginé…et j’ai beaucoup d’imagination ! » La cérémonie fut pleine d’émotion mais surtout festive et ce, dès l’arrivée d’Isabelle Huppert qui n’a pas hésité à se laisser aller à quelques pas de danse sur l’hymne de ce festival, “Nuit de folie” du groupe Début de soirée.
C’est dans une ambiance plus calme que nous la retrouvons ce matin. Face aux journalistes, l’actrice se montre souriante et drôle et ne rechigne pas à répondre aux différentes questions posées.
Pour vous faire profiter de cette agréable rencontre, nous vous proposons les meilleurs moments de la conférence de presse.

© Dominique Jacovides / © Bony
Très tôt, vous avez travaillé avec beaucoup de réalisateurs de différents pays. Est-ce qu’il y a des différences notables entre travailler avec un réalisateur français et un réalisateur étranger, dans une langue qui n’est pas votre langue maternelle ?
Isabelle Huppert : L’un des seuls pays où je n’ai pas travaillé c’est l’Espagne. Mais j’espère que ça changera car il y a des réalisateurs avec beaucoup de talents !
Travailler avec un réalisateur français ou étranger, ça ne change pas grand chose. Il y a une constante d’un pays à l’autre, c’est le cœur même du cinéma. C’est immuable, international. Dans la manière de faire un film, il y a un langage commun à tous.
Je crois que celui qui a le plus creusé cette question de la langue et ce que ça signifie d’évoluer dans une langue étrangère, c’est Hong Sang-soo. J’ai fait trois films avec lui qui questionnent le fait d’essayer de se comprendre et de se reconnaître sans parler la même langue.
Le cinéma – et c’est ce qui est extraordinaire – a vocation à être international.
Avez-vous des projets de tournages avec des réalisateurs ou réalisatrices anglo-saxons ?
I. H. : Pas dans l’immédiat. Par contre, je vais travailler avec une réalisatrice allemande prochainement.
Souhaiteriez-vous travailler avec des cinéastes anglo-saxons ?
I. H. : Je ne vois pas tout à fait les choses comme ça. Bien sûr, je pourrais vous dire que je rêverais de tourner avec tous les grands metteurs en scène anglais ou américains… Mais déjà, je ne suis pas particulièrement obsédée par le cinéma américain. En fait, j’ai envie d’aller partout.
Dans votre filmographie, quel est le film et le réalisateur qui vous ont le plus marqués ?
I. H. : Il n’y en a pas un, plus que les autres. Je ne garde pas de trace des films. Moi ce qui m’intéresse c’est de le faire, après je n’y pense plus car si je le faisais, ça serait trop lourd à porter. Il faut que ça reste léger et amusant.
Thierry Frémaux : Puisqu’on parle de tes films, Hafsia Herzi (avec qui elle a tourné son dernier film, La Prisonnière de Bordeaux) a dit de très belles choses sur toi.
I. H. : Et c’est réciproque. On a enchaîné deux films de suite avec Hafsia, Les Gens d’à côté d’André Téchiné et tout de suite après La Prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy et je crois qu’on pourrait faire dix films ensemble et on continuerait à avoir le même plaisir. On a le même rythme, le même intérêt pour ce qui se dit et ce qui ne se dit pas mais se ressent.
Est-ce que votre rapport au cinéma en tant que spectatrice à évoluer depuis que vous êtes actrice ?
I. H. : J’étais une très mauvaise spectatrice. Avant d’être actrice, j’avais vu très peu de films, je n’avais pas de culture cinématographique.
Mais je pense que j’aurais pu être actrice même sans sortir de ma chambre car pour moi, tout est affaire d’imaginaire. Et quand je vois un film, ça ne me renseigne pas sur ce que je dois ou ce que j’ai envie de faire ou bien sur ce que je fais en tant qu’actrice. Pour le cinéma, c’est de l’imaginaire pur.
Avez-vous des préoccupations particulières concernant l’industrie cinématographique actuelle ?
I. H. : Oui et non. C’est comme voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut être du côté de Jean-Luc Godard qui était très pessimiste et qui m’a dit, dès que je l’ai connu, que le cinéma était un art voué à la disparition. Ou alors on peut être de notre côté et penser qu’il y a une survie possible.
Le fait de dire ‘survie’ implique l’idée qu’il y a une petite menace mais ça on le sait tous. Malgré tout, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui subsiste, qui persiste. Alors je suis assez confiante.
MeToo a beaucoup secoué le cinéma français ces derniers mois. Pourrions-nous avoir votre point de vue sur ces évènements ?
I. H. : Effectivement il l’a secoué mais pas diabolisé pour autant. Il y a des choses qui devaient être dites et ça a été très bien qu’elles le soient. Toute souffrance mérite qu’on se penche dessus et qu’on fasse en sorte qu’elle disparaisse.
Un jour, vous avez dit : “Je crois à peine ce que je lis sur moi, tout me parait trop exagéré.” Avez-vous cru tout ce qu’on vous a dit hier (lors de la cérémonie de remise du prix) ?
I. H. : C’est assez troublant. On ne peut pas dire difficile car il y a pire que d’entendre des compliments ! Mais il y a un moment où on ne se reconnaît pas complètement dans ce qu’on dit de nous.. Ce qu’on dit de moi – ou d’autres dans ces situations – ça outrepasse un peu ma personne. On parle de quelque chose qui me dépasse, dans lequel j’ai une toute petite place.
Tout le monde parle de votre talent, les articles à votre sujet sont dithyrambiques. Est-ce qu’il y a des échecs ou des critiques d’un cinéaste ou d’un article qui vous a mis en doute ?
I. H. : Jamais (rire). En même temps, on ne peut pas plaire à tout le monde et heureusement. De lire ou de savoir qu’il y a des gens qui ne vous aime pas, ça m’est arrivé récemment au théâtre, mais là, il faut remettre dans un contexte général et ça dépasse totalement sa propre personne. Ça fait partie de ce qu’on fait. Il y a des choses qui ne plaisent pas et parfois ça s’exprime. Mais je ne crois pas qu’il y ait besoin de s’en protéger.
Lors de la master class donnée hier, vous parliez du fait que la froideur disait quelque chose. À quel moment avez-vous pris conscience de la nécessité de prendre de la distance par rapport au jeu pour pouvoir mieux jouer ?
I. H. : Pour pouvoir mieux jouer je ne sais pas mais pour jouer tout court. Je le dis avec un petit peu de provocation mais ça m’amuse un peu d’aller contre cette idée du sentiment à outrance. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai aimé travailler avec Michael Haneke pour qui le sentimentalisme c’est la bête à abattre.
Moi je pense que l’émotion naît de la froideur justement. C’est une nature, un goût. Je préfère voir représentées les émotions de cette manière là.
Vous êtes considéré comme une icône de la mode. Est-ce quelque chose sur lequel vous travaillez beaucoup pour les cérémonies ?
I. H. : Pour les cérémonies comme hier ou les grands festivals comme Cannes, le rituel est très important. Ce n’est pas vraiment un travail ou en tout cas, très léger mais, ça mérite qu’on y passe du temps. Ce sont des signes extérieurs qui disent quelque chose de l’évènement. Et tout événement mérite son lot de parures.
« J’ai la chance de travailler avec des gens qui m’ont toujours enthousiasmé et qui m’ont porté. Alors je ne vois pas pourquoi j’arrêterai ! »
Et est-ce que vous le travaillez pour vos films ?
I. H. : Bien sûr, les costumes sont la première indication qu’on donne sur un personnage. La manière dont il est coiffé, maquillé, habillé, c’est essentiel.
Et puis les chaussures. Moi je dis toujours, tout se passe dans les chaussures ! Quand on demandait à Chantal Akerman où se trouvait un rôle elle répondait “in my shoes”. Et elle avait totalement raison. De la démarche dépend le langage du corps qui est essentiel pour définir un personnage.
Comment choisissez-vous vos films ? Est-ce qu’il y a un genre que vous aimez particulièrement ? Ou est-ce que c’est vraiment un choix de réalisateur ou de réalisatrice qui vous plaît ?
I. H. : C’est un peu la partie la plus difficile. Une fois qu’on a fait le choix, il n’y a plus aucun problème. Mais pour que tout se passe bien, il faut que le choix que je fais soit très fort. C’est un moment où l’on se pose beaucoup de questions et c’est tout un ensemble d’éléments dont la pièce maîtresse est le ou la metteur-se en scène. Bien sûr, si on le connait bien, si on connait son travail, le choix est moins compliqué que pour un premier film, par exemple.
Et puis ce qui vous attire vers un personnage ou pas, c’est assez mystérieux à expliquer. Tout à coup, il y a quelque chose qui résonne ou pas, qui fait qu’on sent que c’est pour soi. Je ne sais pas très bien comment l’expliquer. Ça arrive ou ça n’arrive pas. Et quand ça arrive, il faut y aller !
Quel est votre moteur pour continuer à tourner ?
I. H. : Mon moteur c’est le plaisir et parce que – contrairement à ce qu’on pense – je ne le fais pas avec beaucoup d’effort. C’est du travail bien évidemment mais ce n’est pas un effort surhumain pour moi.
De plus, j’ai la chance de travailler avec des gens qui m’ont toujours enthousiasmé et qui m’ont porté. Alors je ne vois pas pourquoi j’arrêterai !
Comment aimez-vous travailler au cinéma ? Est-ce que vous aimez faire des répétitions, avoir plusieurs prises ?
I. H. : Les répétitions varient beaucoup d’un pays à l’autre. En France, on en fait pas beaucoup. En Autriche encore moins ! Il ne faut pas parler de répétition à Michael Haneke ! Je crois que je n’ai pas fait une seule lecture de scénario avec lui. Alors qu’en Angleterre, les journalistes sont étonnés lorsque j’évoque le fait de ne pas faire de répétitions. Comme si c’était un refus de travail.
Et aux États-Unis, j’ai plus souvent répété. Spontanément, je n’en ressens ni spécialement l’envie, ni le besoin mais bien sûr, cela dépend beaucoup du metteur en scène.. Par exemple, il m’est arrivé de répéter quatre semaines pour tourner ensuite cinq semaines. C’était une organisation du travail qui était très particulière.
Pialat disait souvent “les meilleurs films ont les verra jamais car ce sont ceux qui sont avant ‘Action’ et qui sont après ‘Coupez’” et d’une certaine façon il avait raison. Lorsque j’ai tourné avec lui, je me souviens qu’il essayait de casser un peu le rituel du tournage ; on parlait, la caméra s’allumait et comme on était conscient qu’il avait commencé à filmer, on glissait doucement vers la fiction. On arrivait dans la scène un peu clandestinement au lieu d’entrer dans la scène ‘officiellement’ avec le rituel habituel.
Est-ce que vous travaillez avec des coachs ?
I. H. : Je connais des acteurs qui travaillent avec des coachs mais moi ça me parait tellement bizarre. Je suis assez curieuse, j’aimerais bien essayer pour voir l’effet que ça me fait, si ça me rend meilleure ou moins bonne !
La seule fois où j’ai travaillé un peu avec un coach, c’était aux États-Unis pour l’accent et même là, j’en constatais les limites. Il y avait toujours un moment où le coach, dans sa manière de me faire répéter, imprimait un rythme, une tonalité que je ne voulais pas reproduire.
Je pense que c’est le film, les plans et la mise en scène qui nous renseignent. Ce sont eux qui impriment le rythme. Et le jeu, c’est justement du rythme. C’est pour ça que c’est bien de pouvoir s’accorder avec son ou sa partenaire car lorsqu’on joue avec quelqu’un qui ne comprend pas le rythme de la même façon que vous, ça peut devenir très délicat.
Qu’attendez vous exactement d’un réalisateur ou d’une réalisatrice ? Qu’elle soit très directive ou qu’au contraire, elle vous laisse beaucoup de liberté ?
I. H. : Tout metteur en scène est directif puisque c’est lui qui indique la direction, son inspiration, sa vision. Mais j’attends qu’il me laisse aussi faire ce que j’ai envie de faire et c’est quand même le cas la plupart du temps.
Parfois on sent que la manière de dire n’est pas la bonne et ça c’est assez désagréable. Mais ça ne m’est presque jamais arrivé. Et si ça arrive, c’est à moi de dire que ce n’est pas comme ça qu’il faut me parler ou me dire les choses.
« Quand on vient présenter les films ici, c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. Ce festival entretient une chose essentielle au cinéma : sa mémoire. »
Quand vous avez commencé ce métier, vous êtes-vous directement sentie à votre place ?
I. H. : Je me le suis jamais dit d’une manière aussi définitive. Je ne me suis jamais trop posé de question. Je me suis retrouvée actrice très jeune et c’était comme une évidence. Tout en ne l’étant pas car je ne correspondais pas tout à fait à ce qu’on imaginait d’une actrice quand j’ai commencé. Mais j’ai eu la chance de faire des films comme La Dentellière (Claude Goretta, 1977) qui ont saisi quelque chose de différent, d’un peu plus brute. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer ces rôles-là et ces metteurs en scène.
T. F. : Tu te souviens du moment où tu as découvert le scénario de La Dentellière ?
I. H. : Je me souviens du moment où j’ai lu le livre. Mais quand on lit le livre, on peut croire qu’il a été écrit pour moi parce qu’on disait qu’elle avait des grosses joues, des tâches de rousseurs et les yeux verts !
Qu’auriez-vous à dire aux jeunes actrices qui rêvent de devenir la Isabelle Huppert de demain ?
I. H. : Je leur dirais d’être curieuses. En tout cas, dans mon cas ça a été bénéfique. Je leur dirais d’aller voir plein de choses, de lire plein de livres, de regarder pleins de films. Et puis également – même si ce n’est pas facile – d’avoir confiance en soi, avant même que les autres vous fassent confiance. C’est quelque chose qu’il faut entretenir.
Durant le Festival Lumière, avez-vous fait des rencontres ou des découvertes qui vous ont marqué ?
I. H. : Le souvenir le plus intense que j’ai au Festival Lumière, c’est d’avoir présenté La Porte du paradis (1980) avec Michael Cimino en 2012. C’était un moment extraordinaire surtout pour Cimino car c’était une reconnaissance qu’il avait attendu une grande partie de sa vie et que les États-Unis ne lui ont jamais vraiment offert.
Quand on vient présenter les films ici, c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. Ce festival entretient une chose essentielle au cinéma : sa mémoire.