[ACTUALITÉ] Pass Culture : comment la culture et la médiation se retrouvent en danger

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Temps de lecture : 6 minutes

Mercredi 29 janvier au soir, un premier mail venant de la coordination responsable du dispositif national Lycéens et Apprentis au cinéma en Ile-de-France nous annonce que la part collective du pass Culture va connaître des restrictions. Nous sommes invité-es, en tant qu’établissement culturel, à faire valider au plus vite les offres aux enseignant-es et aux chef-fes d’établissement. 
Jeudi et vendredi, une course contre la montre s’engage pour les porteur-euses de projets artistiques et culturels au sein des collèges et des lycées de France, pour qui, le budget que représente le pass Culture est essentiel pour mener à bien leurs missions. Moins de 48h, pour valider des séances de cinéma, des pièces de théâtre et autres manifestations culturelles, qui devaient avoir lieu jusqu’au mois de juin 2025. 
Lundi 1er février, nous recevions un mail officiel de la plateforme en charge du pass Culture, Adage, annonçant que le “budget alloué à la part collective du pass Culture avait été intégralement engagé”. Retour sur un scandale qui ne fait réagir personne, sauf les personnes concernées. 

C’est quoi le Pass Culture ? 

Selon le site officiel, le Pass Culture “est la première application culturelle des jeunes de 15 à 20 ans destinée à proposer une multitude d’offres culturelles et expériences uniques”. Plus concrètement, cela se répartit en deux pôles : la part individuelle et la part collective. L’argent fait partie du budget alloué à l’Education Nationale, mais c’est une entreprise privée qui le gère. 

En ce qui concerne l’offre individuelle, les 15-18 ans peuvent “profiter d’un crédit à travers l’application pass Culture pour accéder de façon autonome à toutes (leurs) envies de culture.” Cette part individuelle concerne tout autant les séances cinéma que les mangas – n’en déplaisent à celles et ceux qui ne considèrent pas cela comme un art -, les musées, les pièces de théâtre… 
Plus concrètement, voici comment se répartit l’argent par élève : 20 € à 15 ans, 30 € à 16 ans et 30 € à 17 ans. Un crédit de 300 € est donné à 18 ans. Le pass Culture “vise à encourager la rencontre entre les partenaires culturels et les jeunes”. Le site stipule ainsi que les adolescents ne pourront pas se faire livrer, mais devront aller en librairie ou au cinéma s’ils et elles veulent en profiter. Les biens numériques sont quant à eux (ebook, SVoD, jeux vidéo…) plafonnés à 100 €. Cette part n’est pour le moment pas remise en question par le gouvernement.

L’offre collective, elle, est gérée sur une plateforme dédiée aux enseignant-es. Elles et ils ont un budget précis par élève : 25 € par an pour les élèves de collège, 30 € pour les élèves de seconde et de CAP, et 20 € pour les élèves de première et de terminale. Cette part est “destinée à financer des activités d’éducation artistique et culturelle (EAC) dans le cadre scolaire”. Un montant est donc prévu en début d’année en fonction du nombre d’élèves inscrits. Ni plus ni moins. 

La catastrophe qui a été annoncée mercredi en visioconférence n’est donc pas due à un problème en provenance des établissements mais bien à une coupe budgétaire en plein milieu d’année. Dans l’article de Médiapart consacré au sujet nous apprenons ainsi : “L’information bruissait depuis une semaine dans le secret de la haute administration, elle a finalement été dévoilée mercredi par visioconférence à toutes les délégations académiques à l’action culturelle de France. Sous la pression de Bercy, le Ministère de l’Education sabre en catastrophe dans le budget : au lieu des 97 millions d’euros prévus, le budget du pass Culture scolaire passe à 72 millions, et il faut encore garder sur cette somme 22 millions afin d’assurer les mois de septembre à décembre 2025.” Ce n’est pas la première fois que le gouvernement agit de cette manière vis-à-vis de l’enseignement. L’an passé, “du jour au lendemain […] toutes les heures permettant de financer des projets pédagogiques ou d’assurer des remplacements ont été gelées.”

Suite à une indignation des personnes du secteur, quelques millions avaient été débloqués pour finir l’année. Est-ce que ce sera encore le cas ? Cette fois, cela ne doit pas se passer dans le silence général.

Comment je suis impactée dans mon métier ? 

Cette nouvelle, comme l’annonce des arrêts des services civiques, impacte directement le monde de la culture et de l’enseignement. Pour vous parler concrètement de ce que cette mesure représente au quotidien, je souhaite vous parler de son impact immédiat et sur le long terme pour moi. Je suis médiatrice Jeune Public dans un cinéma en Ile-de-France. Mon métier consiste à présenter des films, animer des débats et faire des ateliers autour du cinéma (Place des femmes au cinéma, Ecologie & Cinéma, Initiation à l’analyse filmique…) pour que les élèves – allant de la crèche au lycée – regardent le cinéma et les images différemment. Qu’elles et ils exercent leur regard critique. Une image n’est jamais neutre, il y a quelqu’un-e derrière qui a un point de vue à transmettre. Et puis c’est défendre un art aussi : faire découvrir des classiques, des grands films méconnus, des films d’animation cultes. 
Je travaille avec les enseignant-es pour leur proposer des projets cinématographiques ou pour les aider dans leurs programmes artistiques. Le pass Culture a été lancé en 2021, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron qui voulait créer un outil de politique culturelle. Géré par une société privée, le pass Culture a peu à peu pris la place des autres moyens de financer la culture et des projets pédagogiques au sein des établissements. Moins de demandes de subventions, moins de fonds propres. Ce qui fait qu’aujourd’hui l’annonce de l’arrêt de la part du pass Culture en cours d’année signe la mort de beaucoup de projets. 
Les coordinations des dispositifs scolaires (Collège au cinéma, Lycéens et Apprentis au cinéma – une même classe vient voir plusieurs films sur une année scolaire, à chaque fois présentés et souvent suivis d’un échange) préféraient ne pas passer par le pass Culture, mais beaucoup d’établissements ont saisi cette nouvelle source de financement pour payer et mettre en place ces parcours cinéma. Cela met en péril cet enseignant culturel essentiel. 

Suite à la prise de parole de la Ministre de l’Education, Elisabeth Borne, hier, annonçant que toutes les offres ayant été pré-réservées par les enseignant-es seraient bien prises en compte, quelle ne fut pas ma surprise, ce matin, de voir des offres pré-réservées tout simplement annulées sans pouvoir les modifier ou les antidater, dans l’espoir d’avoir la possibilité de maintenir les projets. Il est normalement possible de modifier les offres expirées (dont la date est passée mais dont les enseignant-es et les établissements n’ont pas encore eu le temps de valider, car il faut deux validations pour chaque offre). Cette fois-ci, impossible. Une annonce encore faite dans le vent pour bien passer auprès de la population qui n’est pas impactée par ces décisions.
Cette décision du gel du pass Culture va impacter les établissements culturels qui voient des projets montés être annulés, mais aussi les élèves pour lesquels les sorties culturelles sont des occasions d’apprendre et de découvrir le monde différemment. Certains établissements vont pouvoir pallier à ce budget ou bien les élèves compléteront les dernières séances. Mais ces solutions sont impossibles dans certains départements en France, plus défavorisés. 

Ainsi, si le nouveau budget favorise une nouvelle fois la Défense (l’Armée) et l’Intérieur (la police, par exemple) au détriment de l’Éducation et de la Culture, c’est peut-être une volonté politique qui détourne peu à peu le peuple de la démocratie pour aller vers autre chose. L’heure ne serait-elle pas à la (re)lecture de 1984 de George Orwell ? 

Marine Moutot

Si vous voulez soutenir le mouvement voici des pétitions qui circulent sur le sujet : 

Une tribune à l’initiative de l’AFCAE et de l’archipel des lucioles : « Part collective, le pass Culture nous met en danger ! », signée par l’ACRIF que vous pouvez lire et signer ici.

Une tribune à l’initiative du SYNDEAC : « Debout pour la culture ! Debout pour le service public ! », que vous pouvez lire et signer ici.

Une tribune à l’initiative de professeurs : « Gel du pass Culture – Donner c’est donner, reprendre c’est volé » (en pièce-jointe) également signée par l’ACRIF et que vous pouvez signer ici.


Sources :
Site Pass Culture 
Mediapart, “La coupure brutale du pass Culture collectif provoque la panique à l’école”, Mathilde Goanec, 31 janvier 2025
Site Vie Publique

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