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Pour son premier long-métrage, la réalisatrice américaine Eva Victor réussit à livrer un film doux, drôle et émouvant. Abordant la dépression et les événements qui brisent une vie, Sorry, Baby se révèle juste et puissant. La comédienne — qui s’est fait connaître outre-Atlantique grâce à ses vidéos humoristiques — parvient à rendre palpable la tristesse, mais aussi ces petits instants qui redonnent un peu de lumière à la vie.
Nous suivons Agnès, qui vit dans une ville perdue, au fin fond des États-Unis. Enseignante à l’université, elle sort peu et se referme sur elle-même à la suite d’un événement traumatisant. Mais Lydie, son amie la plus précieuse, reste un repère dans ce monde qui semble avancer sans elle.
Pourquoi allez voir ce film ?
Parle de la dépression avec justesse
Avoir envie d’en finir, simplement quitter une vie qui semble trop dure, peut paraître difficile à comprendre au quotidien. Pourtant, Eva Victor en parle et le montre avec justesse. Elle livre une prestation, et un film, qui touchent à l’intime. La dépression peut frapper n’importe qui, même une jeune femme joyeuse à qui tout semble réussir. En mettant en scène, de manière non chronologique, une période de la vie d’Agnès, le récit permet de faire ressortir les nuances et le moment de bascule avec d’autant plus de force.
Plus que l’instant où la vie d’Agnès s’effondre, le film dessine avec douceur la façon dont le corps et l’esprit réagissent face à l’innommable. La cinéaste s’exprime ainsi sur son intention de montrer le trauma : « Plus que de filmer la violence ou les agressions, c’était la guérison qui m’intéressait. Je tenais à explorer ce sentiment d’impasse, le fait de voir les gens qu’on aime aller de l’avant tandis qu’on reste coincé dans le souvenir de ce qu’on a vécu. J’ai voulu faire ce film pour la personne que j’avais été. »
Elle n’existe pas aussi à parler de suicide ou de parler avec des mots durs de ce qu’elle a vécu.
L’amitié, plus fort que la mort
Sorry, Baby parle aussi d’amitié. Sans Lydie, que deviendrait Agnès ? Même si elles ne vivent pas dans la même ville et ne se voient pas souvent, les moments qu’elles partagent donnent à Agnès la force de continuer. Lydie est un soutien indéfectible, présente lorsque son amie sombre, acceptant sans jugement ses pensées suicidaires comme ses élans de folie. Elle poursuit sa propre route, certes, mais sans jamais tourner le dos à Agnès. Lumineuse, Lydie incarne une présence essentielle, et leur lien profond apporte au film sa part de joie et de lumière.
Le sujet aurait pu rendre le film pesant, voire difficile à regarder. Pourtant, cette amitié — montrée avant et après le drame — agit comme un bol d’air. Les extravagances de l’une trouvent un écho bienveillant chez l’autre, dans une complicité tendre. Eva Victor montre aussi que ce n’est pas parce qu’Agnès est à l’arrêt, en train de chercher encore comment faire pour avancer, que Lydie met sa vie en pause. Au contraire, c’est dans la coexistence de leurs trajectoires que leur relation se renforce.
Un casting brillant
Avec une mise en scène simple mais efficace, Sorry, Baby se distingue également par la qualité de son casting. Certain·es comédien·nes font partie du cercle avec lequel Eva Victor réalisait ses vidéos humoristiques, tandis que d’autres apportent une nouvelle intensité au film. Naomi Ackie, que l’on avait trouvée génialissime dans Mickey 17, se révèle une fois encore juste et émouvante. Elle incarne avec chaleur cette amie dévouée, véritable rayon de soleil dans l’univers assombri d’Agnès. Lucas Hedges, quant à lui, touche par sa retenue dans le rôle du petit ami. Maladroit, discret, parfois un peu burlesque, il tente de comprendre sans heurter — et apporte une touche d’humanité qui empêche le film de sombrer entièrement dans la mélancolie.
Mais la véritable révélation, c’est Eva Victor elle-même. Scénariste, réalisatrice et actrice, elle déploie ici tout son talent. Elle insuffle à son personnage une dose de drôlerie et de légèreté qui rend le film moins sombre, plus juste, plus beau.
Point d’histoire : Comprendre la dépression
Imagine un jour sans soleil… qui dure des semaines. La dépression, ce n’est pas juste être triste ou avoir un coup de mou : c’est comme si ton cerveau s’était mis en mode « gris ». Plus d’énergie, plus d’envie, tout devient lourd, même les choses qu’on aimait avant. Parfois, le sommeil part en vrille, l’appétit change, et on se sent nul-le sans trop savoir pourquoi.
Ce n’est pas une faiblesse ou un passage à vide, c’est une vraie maladie. Elle touche des millions de personnes dans le monde. On en parle sérieusement depuis les années 1950, quand les médecins ont commencé à la classer comme un trouble mental dans leurs manuels (comme le DSM-I). Pourtant avant, en Grèce Antique, ils avaient déjà repéré ce mal, qu’ils appelaient la « mélancolie ».
Comme toute maladie, il est possible d’en guérir ou aller beaucoup mieux grâce à une combinaison de thérapies, de médicaments, ou encore (et surtout) de soutien humain.
Pour aller plus loin, je vous conseille :
Le film Les Heures (Stephen Daldry, 2002) et le livre Une chambre à soi – Virginia Woolf
Le Monde de Charlie (The Perks of Being a Wallflower, Stephen Chbosky, 2012)
Le podcast Émotions (Louie Media)
Marine Moutot
Sorry, Baby
Réalisé par Eva Victor
Avec Eva Victor, Naomi Ackie, Lucas Hedges
Drame, Etats-Unis, 1h44
Wildbunch Distribution
Sortie le 23 juillet 2025