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Une tempête décime une embarcation et dépose un homme sur le rivage d’une île sauvage. Voici comment débute le premier long-métrage du cinéaste néerlandais Michaël Dudok de Wit. Très proche du conte, le film d’animation, ici, est là pour transmettre, pour montrer un autre type de bonheur, loin d’une société de consommation. Avec l’histoire simple d’un homme essayant de survivre, puis de vivre dans une nature qu’il n’a pas dompté, Michaël Dudok de Wit réalise une fable pleine d’humanité. À travers le mythe de la tortue, il exprime l’idée d’un autre mode de vie à travers un dessin délicat et aux douces couleurs. L’aide des Studios Ghibli n’y est, sans doute pas pour rien, mais le style du cinéaste, déjà très présent dans ses courts-métrages, prend ici de l’ampleur.
La tortue, en effet, symbolise, dans beaucoup de culture, la longévité et plus que tout la fertilité. De plus, elle est vue, dans certains mythes, comme le support du monde qui le porterait sur son dos : la vie et les êtres avançant, ainsi, lentement au rythme du cosmos[1]. À travers cette image d’une tortue monde portant l’univers, se retranscrirait la sagesse. Et cette sagesse transpire dans le film La Tortue rouge. Véritable monument, la tortue se mue avec force et agilité dans l’océan et devient à la merci de l’homme sur terre, métaphore sans doute du mal dont nous sommes capable quand nous avons les pleins pouvoirs. La mort de la tortue entame une nouvelle étape dans la vie de l’homme : la maturité. Il prend conscience de l’acte horrible qu’il a fait et doit assumer le reste de sa vie avec cette erreur. La femme et l’homme commence une vie à deux et partagent les moments simples, mais ici magnifique de la vie : la naissance d’un enfant, son éducation, son départ… Michaël Dudok de Wit, de la pointe de son crayon, fait vivre les personnages qui, sans parole, transmettent plus que tout une véritable leçon d’amour. Le silence des mots se transforme en un sublime hymne au son de la nature.
Mais plus qu’une fable avec une morale et une justice, le réalisateur se plait à rajouter un comique de situation et qui force l’admiration. Dans une première partie, alors que le personnage fait tout pour échapper de l’île qui sera finalement son tombeau, il construit un petit bateau, qui sera détruit par une force invisible, puis un plus grand et etc… Jusqu’à réaliser que la construction du bateau est la cause de son malheur. Toute cette action, comme les suivantes, se déroulent sous les yeux de petits crabes, amusés sans doute par les va-et-vient du héros. Les crabes, véritables partenaires silencieux, sont victimes de situations cocasses et goûteuses. L’enfant, qui découvre l’île et teste tout sur son passage, mange un crabe vivant puis le recrache, avec un humour doux amère, cette scène de crabe infortuné, renvoie à toutes celles où un crabe ou deux chapardent discrètement le repas de l’homme, finalement heureux de cet intrus qui leur ramène de la nourriture facile. Par le peu de personnages, Michaël Dudok de Wit retranscrit pourtant des caractères différents et montre une société qui apprend à se respecter.
Grâce à ce film sans parole où l’émotion naît du dessin, qui très expressif, réussit à nous faire pleurer devant des choses simples de la vie d’une femme et d’un homme. Rien n’est dans l’exubérance. Michaël Dudok de Wit est un cinéaste à suivre au discours passionnant, et sa Tortue Rouge est une allégorie d’une autre possibilité. Essentiel, aujourd’hui, dans un monde rongé par la consommation, l’éloignement de l’autre et l’enfermement des sentiments.
Marine Moutot
Réalisé par Michaël Dudok de Wit
Animation, France – Belgique – Japon, 1h20
29 juin 2016
[1] Pour les peuples iroquoiens, la tortue est l’origine du monde. Un point intéressant qui pourrait s’apparenter, au fait que la femme apparaît dans la carapace de la tortue. La femme est le lien entre la fertilité et, dans certains mythes, représente la naissance du monde. La tortue pourrait, donc, être sujet à beaucoup de spéculation, mais le plus important est, je pense, sa mort et la naissance de la femme dans sa carapace. La femme, au fil de l’histoire, est clairement la tortue rouge, maîtresse de la mer et transmet cela à son fils. Alors que le couple reste sur l’île, l’enfant devenu adulte part découvrir le monde, idée d’une évolution.