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Le nouveau film d’Hubert Charuel — réalisateur des excellents Petit Paysan et Les vaches n’auront plus de noms —, co-réalisé avec Claude Le Pape, est à la fois une ode à la jeunesse et à l’amitié. Teinté de désespoir, ce groupe de jeunes adultes se débat pour survivre dans un monde qui les a oubliés. En toile de fond, la question des déchets nucléaires, stockés à proximité des habitant·es qui se sentent relégué·es au rang de citoyen·nes de seconde zone. Présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard, Météors s’impose comme un deuxième long-métrage solide et émouvant avec des acteurs qui donnent le meilleur d’eux-mêmes.
Météors, c’est aussi une métaphore : quelque chose d’inéluctable, qu’on ne peut arrêter. C’est la force de Danny, que Tony et Mika tentent malgré tout de canaliser. Mais dans cette France où le gris domine, il est parfois difficile de résister seul.
Pourquoi voir le film ?
Filmer la Diagonale du vide, mais quel vide ?
Le film prend place à Saint-Dizier, ville où a grandi Hubert Charuel. Cette région appartient à ce qu’on appelle la « Diagonale du vide », un territoire perçu comme déserté, avec plus de champs et de vaches que d’habitant·es. Pourtant, en y regardant de plus près, il y a de la vie, beaucoup de vie, au cœur même de ce supposé néant. C’est ce qui intéresse les deux scénaristes qui, huit ans après Petit Paysan, souhaitent donner voix et visibilité à celles et ceux qu’on ignore. De plus, la mise en scène qui alterne entre couleurs chaudes (rouges) et froides le bleu réussissent à rendre vivante cette ville, mais surtout à rendre palpable les émotions des protagonistes, leurs différences, leurs doutes et leurs espoirs.
Leur trio est hétéroclite. Mika (Paul Kircher) n’a jamais quitté Saint-Dizier. Danny (Idir Azougli), venu de Marseille, s’est retrouvé là par la force des choses et des événements — un peu obscurs — et ne rêve que de partir. Quant à Tony (Salif Cissé), il a réussi à monter son entreprise dans le BTP, en regardant devant lui sans pour autant oublier ses amis. À eux trois, ils montrent la diversité d’une ville, d’une région qui est faite de beaucoup de choses, mais pas de vide.
L’amitié plus forte que tout… ou presque
Le récit aborde des thèmes difficiles, tels que l’addiction. Météors s’ouvre sur une blague : Danny vole un chat. Mika et lui se font arrêter, ils sont fortement alcoolisés et sous empire de stupéfiant. Commence alors le chemin vers la rédemption pour l’un, et la descente aux enfers pour l’autre. L’alcool et la drogue sont de véritables fléaux — le titre du film évoque aussi une marque de bière — qui brisent des vies. Mika veut s’en sortir, et surtout que Danny l’accompagne dans ce désir. Ce combat, il ne veut pas le mener seul. L’une des séquences les plus marquantes montre leur volonté de changement : quand ils décident de nettoyer leur maison ensemble et de chanter à l’unisson. La manière dont Hubert Charuel décide d’utiliser le cadre fait qu’il isole parfois les protagonistes, les enfermant sur eux-mêmes, impossible de se comprendre, de ne pas se sentir juger ou de ne pas craindre pour l’autre, comme il peut les rassembler, montrant une tribu joyeuse malgré les difficultés. Entre oppositions et ententes, Danny, Mika et Tony sont une troupe en apparence soudée.
Mais l’amitié ne suffit pas toujours à sauver. Le film rappelle, sans pessimisme, qu’une dépendance ne peut être vaincue qu’en acceptant de faire soi-même le premier pas. Aucun ami ne peut choisir à notre place. Plein de poésie, de mélancolie et d’humour aussi, le récit parle des errances de ses personnages qui cherchent toujours de trouver une idée pour se sauver.
Les gens et le territoire
Un autre point essentiel dans Météors réside dans le contexte où évoluent les protagonistes. Leur ancrage est particulier : une vie à la marge, loin de tout. Les institutions existent, tentent parfois de les soutenir, mais la solitude de Mika et Danny reste palpable.
Tony leur trouve du travail dans un centre de stockage de déchets nucléaires, installé à quelques kilomètres de Saint-Dizier. Ce lieu soi-disant « sécurisé » fait frissonner : un dédale de béton où l’on peut se perdre à l’infini. Dans une séquence proche du film d’horreur, Mika en fait lui-même l’expérience.
En toile de fond, une question s’impose : combien de temps peut tenir ce béton censé contenir l’incontournable danger ? Même si les déchets restent invisibles, presque oubliés, leur simple présence semble être une aberration qu’on ne questionne plus. C’est ce qui a marqué le réalisateur qui ne vit plus en Haute-Marne. Avec sa scénariste et co-réalisatrice, il décide d’interroger nos croyances. Mika sombre d’ailleurs dans une forme de parano : pourquoi enterrer ici des déchets ? Là, où le temps est gris et les habitants sont tristes.
Le cinéaste n’oublie pas également que la Haute-Marne est sa terre natale et il décide avec la complicité de sa famille et d’amis, de faire jouer des acteurs et actrices non professionnel·les à des rôles clés, comme la juge ou encore l’homme qui est heureux de voir la carpe Moby Dick – encore une métaphore au voyage tant voulu par Danny – retrouvée son étang qui est interprété par son père. Un clin d’oeil au fait qu’il n’a pas oublié ses origines et qu’il en est même fier.
Comme le dit si bien Hubert Charuel, Météors est un film sur des personnes et un territoire qui « s’intoxiquent pour survivre ». Une œuvre qui nous pousse à interroger notre propre existence et la manière dont nous maintenons l’espoir de vivre. Ni tout à fait sombre ni tout à fait lumineux, Météors raconte la force fragile de la jeunesse qui s’accroche à l’amitié pour ne pas disparaître.
Point d’histoire : les poubelles nucléaires
Derrière l’expression poubelles nucléaires se cachent les centres où sont enfouis nos déchets radioactifs. Les premiers sites de stockage en surface apparaissent dès les années 1960 (comme à La Hague), puis à partir des années 1990 la France et d’autres pays développent des stockages en profondeur, censés protéger pour des siècles. Les déchets sont placés dans des conteneurs puis entourés d’épais murs de béton.
Mais si le béton est solide, il n’est pas éternel : il finit par se fissurer sous l’effet de l’eau, des réactions chimiques et de la pression des sols. Or, ces déchets restent dangereux pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. Nos infrastructures les plus robustes n’ont jamais été testées à une telle échelle temporelle.
Ce paradoxe traverse toute l’histoire du nucléaire civil : depuis plus d’un demi-siècle, nous choisissons d’enterrer nos déchets, espérant que le béton tienne. Mais ce choix, plus pratique que définitif, ressemble à une fuite en avant. Enterrer, oui — mais pour combien de temps ?
Pour aller plus loin, je vous conseille :
La bande dessinée des journalistes Gaspard d’Allens et Pierre Bonneau Cent mille ans : Bure ou le scandale enfoui des déchets nucléaires, 2020 (dessins de Cécile Guillard)
Je ne peux que vous conseiller également le premier de Hubert Charuel, Petit Paysan, 2017 et Les Combattants de Thomas Cailley sur la jeunesse désillusionnée, que Claude Le Pape avait co-scénarisé
Marine Moutot
Météors
Réalisé par Hubert Charuel et Claude Le Pape
Avec Paul Kircher, Idir Azougli, Salif Cissé
Drame, France, 1h48
Pyramide Distribution
Sortie le 8 octobre 2025
